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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


ses collègues l’avaient vu, non sans surprise, tomber à genoux, s’abîmer, lui, l’auteur de tant de pages libertines et l’un des exécuteurs des décrets, dans une longue prière. Le parti-prêtre, les moines de la Croix le poussaient en avant.

Lebret ne put faire autrement que l’inviter à s’expliquer devant Mazeau. Cela ennuyait fort M. le Premier, qui n’aimait pas le bruit et avait fait jusqu’alors le possible pour ne pas être mêlé à l’Affaire. Il se flattait cependant de raisonner Quesnay, mais le malheureux était lancé et, pour couper les ponts, il avait rédigé un mémoire qu’il lui adressa et « qu’il était prêt à renouveler sous la foi du serment ». Il y articulait huit faits principaux : son propre entretien avec Bard (il le raconta exactement) ; que Bard serait allé un autre jour dans le local où se trouvait Picquart ; que Lœw s’y était rendu également ; que Bard avait causé avec Labori ; que Lœw avait chargé Ménard, le greffier, d’exprimer à Picquart « tous les regrets de la Cour » de ne pouvoir l’entendre à l’heure dite ; que le capitaine Herqué avait été « ému » de ces marques d’extrême bienveillance « envers un officier rayé des cadres de l’armée » ; que Lœw avait fait servir à Picquart, après une de ses dépositions, « un breuvage de choix » ; enfin que Bard avait ordonné, le jour suivant, de lui préparer « un grog chaud », mais que « le serviteur avait répondu : « On n’en fait pas autant pour nos généraux. Les généraux, ce n’est rien. Il n’y a que Picquart ! Un grog chaud ? J’aimerais mieux lui donner un vomitif[1] ».

En d’autres temps, il eût suffi de publier une pareille dénonciation pour en faire justice. Mazeau et Lebret lui-même en furent d’abord indignés, et quand Lœw,

  1. Enq. Mazeau, 50 à 53, lettre du 28 décembre 1898.