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CAVAIGNAC MINISTRE


l’Élysée. Cavaignac y trônait ; ce fut là qu’il apprit l’arrestation d’Esterhazy[1].

Picquart l’apprit chez Trarieux, Il était sorti dans l’après-midi, ne sachant encore rien de la plainte déposée contre lui, la connut par les journaux, et alla faire visite à Mme Trarieux pendant que Feuilloley et Fabre perquisitionnaient à son domicile, — ce qui, hors de sa présence, était contraire à la loi[2]. Trarieux, qui m’avait rencontré dans le cabinet de Labori où nous étions tous deux aux nouvelles, me pria de l’accompagner chez lui ; dès qu’il vit Picquart, il lui dit qu’il le gardait, lui offrait asile[3].

Dans la soirée, quelques amis, convoqués par dépêche, vinrent s’entretenir des événements, serrer la main de celui qui allait entrer en prison. Il chargea Labori de sa défense. Tous étaient indignés, quelques-uns très excités. Trarieux adressa une noble lettre à Sarrien : « Si l’arrestation du lieutenant-colonel Picquart doit avoir lieu, je tiens, pour lui épargner d’inutiles vexations, à ce que ce soit sous mon toit qu’on vienne le chercher. Cela vous dit assez mon émotion. Le droit est profané, la justice est méconnue : je me sens l’esprit inquiet et la pensée en deuil. » Tard dans la nuit, un journaliste vint nous annoncer que Bertulus avait mis la main au collet d’Esterhazy.

Il est probable que, sans cette arrestation inattendue d’Esterhazy, Picquart eût été laissé en liberté. Fabre ne fut invité que le lendemain, par le procureur général, à l’envoyer en prison ; il s’y refusa d’abord, sans goût pour ce genre de représailles, et parce que le dossier

  1. Rennes, I, 269, Roget : « Il l’apprit par hasard. »
  2. Article 30 du code d’Instruction criminelle.
  3. Brisson dit à tort que « Picquart demeurait alors chez Trarieux » ; il n’y passa que cette seule nuit.