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LE DESSAISISSEMENT


tireur. Le « citoyen Beaurepaire » avait « découvert une nouvelle tactique contre les Prussiens » ; il annonça des conférences « au profit des pauvres de Belleville ». Cela déplut ; la salle criait : « Il nous faut de la poudre et du plomb ! Nous ne voulons pas du pain des aristocrates[1] ! » Il cherchait une candidature, répandit une lithographie enluminée où, dans son uniforme, le sabre au côté, il défiait l’ennemi. Il jura qu’il se ferait « couper le poignet plutôt que de signer une paix honteuse ». On lui demanda « s’il ne serait pas, par hasard, le même Quesnay de Beaurepaire qui avait été procureur impérial à Mamers ». Il ne s’en défendit pas, alléguant « que la République ne saurait être moins tolérante que l’autocratie catholique qui admet les conversions ». La réponse fut brutale : « Nous ne sommes pas des jésuites ; les démocrates ne peuvent donner leur suffrage à un membre de la magistrature avilie de l’infâme Bonaparte[2]. » Traité de renégat par les siens, il végéta dans les barreaux de province, politiqua dans d’obscures feuilles locales, fit passer péniblement dans les journaux de Paris des articles d’un genre léger[3] qui, plus tard, pesèrent durement sur lui. Pourtant, il fallait manger, et il était sans fortune, resta pauvre, d’une probité scrupuleuse dans le commerce ordinaire de la vie. Il rentra, vers 1878, dans la magistrature[4]. De l’application, du zèle, de la souplesse quand il le fallait,

  1. G. de Molinari, Les Clubs rouges, 95.
  2. Salle Molière, 6 février 1871. (Molinari, 311).
  3. On a souvent reproduit une de ses lettres au directeur de la Vie Parisienne, où il offre, en « gaulois qui sait sa province », des histoires de « bourgeoises de chef-lieu levant la jambe », et des petits « turlututus. »
  4. Il s’était présenté le 14 octobre 1877, à Mamers, contre le duc de La Rochefoucauld et fut battu. Il fut successivement substitut à Paris, procureur général à Rennes et avocat général à Paris.