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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


dit qu’Henry porterait un jour le bonnet vert des forçats »[1].

Enfin, Esterhazy s’était décidé à publier ses Mémoires[2], où il racontait qu’il avait connu Henry depuis plus de vingt ans, qu’ils avaient été lieutenants ensemble, et que c’était un bon et brave soldat. Alors qu’il accablait d’outrages tous ses anciens chefs, Esterhazy n’avait d’éloges que pour Henry : « Des politiciens égoïstes et sans cœur l’ont forcé à s’évader dans la mort ; ils l’ont contraint au suicide parce qu’il savait trop de choses. » Esterhazy a été chargé par Sandherr de « canaliser » Schwarzkoppen, « le plus enragé » des attachés militaires étrangers à recueillir des renseignements. Trop fier encore pour avouer qu’il avait été un espion, Esterhazy reprenait la légende du contre-espionnage et entrait, cette fois, dans toutes sortes de détails assez plaisants, comme quoi il avait remis à l’Allemand, le stock-fisch, pour lui et pour l’« andouille » italienne, des monceaux de faux documents, munis d’ailleurs « des cachets du ministère ». « Henry, lui aussi, connaissait à merveille ses relations avec Schwarzkoppen. » Et, certainement. Henry en avait parlé à Cavaignac, à Roget ; il n’avait pas dit qu’il ne l’avait vu qu’une fois chez Sandherr, apportant des documents ; et ces documents venaient de quelque part, « n’avaient pas été trouvés sous les quatre fers d’un chien ». Mais ces misérables ont mutilé, tronqué les aveux d’Henry[3].

  1. Cordier, dans le Temps du 26 janvier 1899. Selon le Gaulois, il aurait dit : « On a donné ma place à deux forçats, Henry et Picquart. »
  2. Les Dessous de l’Affaire Dreyfus, avec une introduction datée de Londres le 15 novembre 1898. L’ouvrage parut en fascicules illustrés, à partir du 21.
  3. Dessous, 27, 29, 70, 155 à 162, 201.