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CHAMBRE CRIMINELLE

Les deux tiers de la Chambre, beaucoup de députés qui n’auraient pas voté avec lui, l’applaudirent.

On écouta à peine Cavaignac. Cette Chambre qui l’avait acclamé, il y a cinq mois, ne lui pardonnait pas de s’être trompée avec lui, rejetait sur lui seul le poids de leur commune erreur, avec la brutale injustice des foules, et n’apercevait même pas tout ce qu’il y avait de réel courage chez cet homme, à côté de son immense sottise, à braver ces tardives colères.

Il parut mentir quand il en appela de Poincaré à Dupuy, toujours muet, au sujet des aveux. Poincaré, debout à sa place, montrant Dupuy : « Il a dit qu’il n’a pas reçu la déclaration de ces aveux ; il vous l’a dit à vous-même. » Comme les socialistes n’arrêtaient pas de le harceler, de lui jeter à la tête le faux d’Henry, il en profita pour s’évader de l’impasse où Poincaré l’avait acculé : « J’ai fait avouer et j’ai puni le faux. Je voudrais bien savoir qui, parmi tous les prétendus apôtres de la justice et de la vérité, a fait, par respect pour la vérité et pour la justice, l’équivalent de ce que j’ai fait ce jour-là ! »

Ce qu’il ne dit pas, c’est le profit qu’il avait pensé tirer de la révélation du faux, puis de sa démission qui devait le faire le chef des « patriotes » ; mais ceux-ci ne voulaient plus de cette loque qui se croyait toujours un drapeau.

En terminant, il reprocha à Brisson « d’avoir engagé la Revision sans que le Parlement fût consulté ; on a dit qu’on voulait transporter l’Affaire du terrain politique sur le judiciaire… — Il faut l’y laisser ! » interrompit Dupuy, avec son ordinaire à-propos, et ces cinq petits mots, qui furent couverts d’applaudissements, expliquèrent, à droite comme à gauche, l’équivoque silence qu’il avait gardé depuis le commencement de la séance.