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CHAMBRE CRIMINELLE


fils plus fortunés de la Révolution, qui en eurent le principal bénéfice, contractaient un engagement. Tout au moins celui de réfléchir. On réfléchit beaucoup aux causes profondes de ce grand trouble, à toutes sortes de choses qu’on avait fini par croire légitimes, parce qu’on y était accoutumé. Tavernier, Ravary et d’Ormescheville ont été les grands destructeurs de la vieille conception militaire. Elle se fût perpétuée longtemps, avec un peu de prudence et d’équité, à travers les âges nouveaux, comme un prolongement nécessaire des temps anciens. Les plus conservateurs, comme Trarieux, les plus passionnés des choses de l’armée, comme Scheurer ou moi, s’aperçurent, non sans douleur, que l’angle de leur vision avait insensiblement changé. Ils cherchèrent des bases à leurs croyances d’hier, ne les trouvèrent plus. Ce qu’il y a de pourri dans le corps d’officiers, dans les pouvoirs publics, dans le pays lui-même, n’est pas qu’une végétation parasitaire. Le germe en vient de quelque source empoisonnée. Quand Duclaux présidait ces réunions agitées, lui qui avait cherché, selon les méthodes de Pasteur, tant de bacilles, propagateurs des maladies du corps humain, ces pensées s’agitaient sous ce front grave et triste. On allait aux vaincus de la vie qui eurent toujours les nobles âmes pour amies.

Anatole France grossit sa voix, ironique jusqu’alors : « Ne faites entendre que le langage de la raison, mais avec un bruit de tonnerre[1]. » Les étudiants l’acclamaient : « Vive Monsieur Bergeret ! », ne faisant qu’un de lui et du personnage principal de ses contes philosophiques.

Au sortir de ces réunions, des bandes, où l’on vit des membres de l’Institut, des professeurs à la Sorbonne,

  1. 1er  décembre 1898, au Grand Orient.