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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


faisait bloc dans l’esprit des furieux ou des imbéciles. Quand la critique, toujours tardive, aura détruit le nouveau mensonge, qui aura déjà fait son œuvre, on en cherchera un autre. L’accusation de Zurlinden et de Roget contre Picquart faussaire procédait du « grattage » qu’ils lui imputaient. L’expertise, en démontrant que les surcharges n’étaient pas de son fait, prouvait, à la fois, son innocence et l’authenticité de la carte. Le faussaire inconnu (parce qu’on ne voulait pas le rechercher), Henry, n’aurait pas falsifié un document déjà faux. C’eût été inutile et vraiment trop bête. Ce fut cependant la thèse nouvelle de Tavernier.

Non seulement Picquart « a mensongèrement attribué l’écriture du petit bleu à une personne nominativement désignée, dans le but de nuire au commandant Walsin-Esterhazy », mais, certainement, il l’a fait fabriquer[1]. En effet, Henry, « qui procédait toujours à ses triages avec soin », n’avait pas remarqué dans le paquet « ce document d’un si grand intérêt et portant sur l’adresse un nom « qui ne lui était pas inconnu ». Sinon, « il en aurait avisé Lauth ». Picquart eût dû montrer aussitôt la carte-télégramme au sous-chef d’État-Major ; il n’en fit rien, « ayant sans doute ses raisons »[2], et, bien plus, osa dire à Gonse qu’il avait rompu avec l’agent qui fournissait les débris de manuscrits ». Il se livra ensuite aux manœuvres les plus répréhensibles pour tromper ses chefs (clichés retouchés, timbrages, « photographie qu’il avait eu l’intention de substituer à l’original »), et

  1. La Libre Parole en donnait cette preuve que le petit bleu est d’un français très correct et que « Schwarzkoppen écrit fort mal cette langue ». (7 novembre.) Or, Schwarzkoppen l’écrit et la parle très correctement.
  2. « Il resta quelques mois sans en ouvrir la bouche, tout en continuant à travailler avec ses complices, Leblois et Reinach. » (Libre Parole du 31 octobre 1898.)