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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


porer les colères, de carguer les voiles, d’attendre la bonace. Volontiers, il eût prié Picquart de lui rendre le service de se laisser condamner (provisoirement).

Il eût pu s’appuyer sur ceux des officiers, plus nombreux qu’on ne l’a cru, qui souhaitaient la Revision. Galliffet le disait à Gaston Pâris, Niox à Giry[1]. Mais ceux-là ne criaient point. Il pouvait donner des ordres à Zurlinden, son subordonné comme gouverneur de Paris et comme procureur général de la justice militaire. Il négocia, lui demanda seulement, pour le tâter, la levée du secret. Le général refusa, Alsacien têtu, qui se savait appuyé par l’Élysée et qui, très fier sous les balles prussiennes, eut, lui aussi, peur de Drumont. Il allégua, Freycinet saisit avec empressement le prétexte que la procédure militaire n’était pas la même que la procédure civile.

On pouvait le contester en raison d’un article de la loi nouvelle sur l’instruction qui abroge toutes les dispositions antérieures. On répondait que le législateur aurait dû préciser ; l’instruction, devant les conseils de guerre, fut toujours secrète. Ainsi Demange ne fut admis à conférer avec Dreyfus qu’après l’ordre de mise en jugement[2]. La controverse était insoluble. Il n’y avait qu’à légiférer. Nouveau service rendu par l’Affaire que de débroussailler la justice militaire. Le même jour[3], Antide Boyer, à la Chambre, Constans, au Sénat, déposèrent une proposition qui rendait la loi sur l’instruction applicable devant les tribunaux militaires en temps de paix. Ils réclamèrent l’urgence, qui fut prononcée sans débat, d’accord avec le Gouvernement.

  1. Il lui dit devant des officiers : « Je vous le disais bien que l’État-Major était pourri. » (Récit de Giry à Monod.)
  2. Voir t. I, 324.
  3. 15 novembre 1898.