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CHAMBRE CRIMINELLE


tographies de Lauth[1], qui ruinaient tout ; mais Tavernier n’avait point aperçu la contradiction, étant aussi dépourvu de jugement que de scrupule. Peut-être comptait-il sur les experts. Mais les beaux jours de Ravary étaient passés. Les experts (Lhôte, Charavay, Couderc, Varinard lui-même) n’étaient plus hommes à se faire dicter leurs conclusions. Elles furent catégoriques.

En effet, si le chimiste constata que la partie intacte du petit bleu n’était pas écrite avec la même encre que celle des surcharges, « il lui fut impossible de faire revenir sur le papier aucune parcelle des caractères supposés grattés ». Et, pareillement, les experts en écriture « cherchèrent vainement, à l’aide du microscope et de la loupe, à reconstituer (sous lesdites surcharges) une lettre quelconque ». Ils furent donc unanimes à repousser l’hypothèse qui, la première, leur était venue à l’esprit, d’un nom substitué à un autre sur l’adresse. Le nom d’Esterhazy a été simplement récrit sur le nom d’Esterhazy. Bien plus, comme les surcharges sont, de dates différentes, les unes anciennes, qui se trouvent déjà sur les photographies tirées par Lauth, les autres plus récentes, qui ne figurent pas sur les clichés, mais comme elles sont les unes et les autres écrites avec la même encre (à base de campêche), tandis que le reste

  1. Selon Lauth (12 octobre 1898), les premiers essais avaient été détruits au fur et à mesure. Les clichés furent montrés par Tavernier à Junck le 11 octobre, et à Lauth le 12. — Picquart avait demandé « qu’on fît l’expertise du petit bleu avec l’écriture de Schwarzkoppen ». Il « accepta une pièce de comparaison qui lui fut proposée, signée de l’attaché allemand, du 18 octobre 1897 ». Dans son Mémoire pour la Chambre des mises en accusation (38) et à Rennes (I, 467), Picquart observe que « cette pièce était arrivée au ministère en plein pendant la période des faux », « qu’il eut le tort de l’accepter ». On a vu que le petit bleu n’était pas de l’écriture de Schwarzkoppen (t. II, 244). Ce fut l’une des erreurs persistantes de Picquart.