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CHAMBRE CRIMINELLE

Dreyfus en fut bouleversé, s’en défendit dans une longue lettre, Il n’a pas cessé de mettre sa confiance en Boisdeffre ; toute sa correspondance en témoigne ; il a dit à sa famille : « Les esprits se sont certainement aigris de part et d’autre… », et à Deniel lui-même : « S’il y a quelqu’un qui aurait le droit d’avoir l’esprit aigri, c’est moi, et je ne l’ai pas. » Il termine par ces mots : « J’ai le cœur assez brisé ; si vous voulez le briser encore davantage, faites-moi donner un flacon de cyanure de potassium. Je vous jure que je vous en remercierai, car j’aurai enfin cessé de souffrir. »

C’était le 30 octobre, le lendemain de l’arrêt de la Cour qui déclarait recevable la demande de revision.

Quatre jours après, il reçut le courrier de septembre. Le ministre des Colonies avait laissé passer, cette fois, une lettre plus explicite de Lucie ; elle annonçait que des événements graves s’étaient produits, qu’il les saurait plus tard, que le Gouvernement avait accepté sa requête en revision. Deniel lui remit ce courrier, ouvert, qu’il avait lu, « conserva le mutisme le plus complet »[1]. Dreyfus, tremblant de joie, remercia sa femme « de la grandeur d’âme, de la noblesse de caractère qu’elle avait montrées dans ces tragiques circonstances… Il n’y a point ici-bas d’idéal auquel une âme de femme ne puisse s’élever, qu’elle ne puisse dépasser… Quand tu recevras cette lettre, je pense que tout sera fini[2]. »

Le 10 novembre, Lucie Dreyfus fut mandée au ministère des Colonies. Elle s’y rendit en compagnie de sa belle-sœur Suzanne, la femme de Mathieu. Un fonctionnaire leur donna lecture d’un résumé, d’ailleurs inexact, de la lettre de Dreyfus du 24 septembre au

  1. Rapport.
  2. 5 novembre 1898.