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CHAMBRE CRIMINELLE


d’Esterhazy. Cependant il gardait cette version pour lui et quelques amis, comme Mercier celle du bordereau annoté. Bien que Cavaignac lui fût très attaché, Boisdeffre ne s’était pas ouvert de la lettre impériale à l’imprudent qui avait porté l’autre faux d’Henry à la tribune. Cavaignac avait sa glose personnelle qui suffisait à le convaincre (ou à lui faire dire) « qu’alors même que le bordereau serait l’œuvre matérielle d’Esterhazy, il n’y aurait pas de conclusions à en tirer en faveur de l’innocence de Dreyfus[1] ».

C’est ce qu’il avait raconté déjà à la Chambre, mais sans donner la clef de l’énigme, et il ne la donna pas davantage aux juges, qui durent se contenter de ceci : « Il faudrait imaginer une hypothèse pour concilier les deux faits, soit celle d’une imitation d’écritures (le système des experts de 1897), soit celle d’une copie[2]. » Il entendait par là que Dreyfus lui-même avait fait copier le bordereau par Esterhazy.

De toutes les qualités que Cavaignac croyait posséder, aucune ne lui était plus chère que sa connaissance des questions militaires. Il l’étala, parlant à ces robins du haut de sa science, pensant les éblouir par une argumentation technique, et fort inconscient du ridicule de ce ton d’augure, après son énorme bévue.

Il développa, pendant deux longues audiences, qu’il était « matériellement impossible » qu’Esterhazy « eût commis l’acte de trahison[3] ». « Dans les usages courants du ministère de la Guerre, le mot note s’ap-

  1. Cass., I, 23, 24, Cavaignac.
  2. À la fin de sa déposition, (I, 40), Cavaignac dit qu’il existait « d’autres éléments essentiels de conviction. Si le Gouvernement est amené à les communiquer, il demande à s’en expliquer. » Il ne s’agissait certainement pas, dans sa pensée, du bordereau annoté.
  3. Cass., I, 29, Cavaignac.