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BRISSON


qui se croyaient le mieux informés furent stupéfaits. On avait la double sensation contradictoire, cruelle et joyeuse, de descendre dans des crimes toujours plus laids et de monter dans une vérité toujours plus claire.

Les journaux ont raconté qu’une longue enquête avait été faite sur Dreyfus avant son arrestation ; — Zurlinden lui-même affirme que, lors des recherches de 1893, quand l’État-Major eut la certitude qu’il y avait un traître au ministère de la Guerre, « aucun soupçon ne put s’élever contre lui ».

Selon Billot, Dreyfus avait été condamné sur le témoignage de 27 officiers. Or, devant d’Ormescheville, aucun de ces 27 officiers n’avait révélé un seul fait, « n’avait dit un seul mot se rapportant à la trahison ».

Des pièces secrètes ont-elles été communiquées aux juges de 1894 ? Zurlinden répond qu’il n’y a pas trace de cette communication, — Bard dit : « de cette violation du droit public des Français[1] » ; — or, Picquart énumère les pièces, les discute ; il croit que c’est lui-même qui les a portées aux juges.

Les aveux ? Sauf la note de Lebrun-Renaud sur son calepin, mais dont l’original n’est pas (pour cause) au dossier, rien que des témoignages postérieurs de trois ou quatre ans.

C’est la plus perfide des innombrables légendes « qui, à force d’être répétées, ont pu s’introduire dans les meilleurs esprits, par une sorte d’obsession dont il est difficile de se défendre ».

L’idée folle que Dreyfus a calqué le bordereau sur un manuscrit qui n’a jamais existé a été suggérée aux chefs de l’armée par Esterhazy, imposée par eux aux experts de 1898.

  1. Revision, 119, Bard.