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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


acceptait les explications de Sarrien que, si des poursuites n’avaient pas encore eu lieu, c’était la faute à Chanoine, et demandait seulement à son ami Brisson des garanties, des promesses formelles pour l’avenir. Il chevrota de sa voix doucereuse et en se frappant la poitrine : « Sachez bien que je suis un vieux républicain[1] ! »

Nulle tactique plus simple. Le coup de Chanoine ayant manqué, la droite et les nationalistes le sacrifiaient, noyaient dans l’unanimité de 543 votants l’adoption de la formule sur la suprématie du pouvoir civil, et passaient la main au centre pour renverser Brisson.

Ce fut Barthou qui lui donna le coup de mort, en face. Il ne dit que peu de mots, mais précis, vigoureux : que ses amis et lui n’accorderaient jamais leur confiance au Gouvernement, qu’ils se refusaient à approuver son attitude.

Les violences de Piou parurent faibles après cette déclaration. Il contesta que Brisson eût sérieusement invité Chanoine à exercer des poursuites : « Vous avez joué la comédie. »

Brisson, très las, ne descendit pas à s’en défendre ; il protesta seulement qu’« entré dans les Chambres au lendemain de nos malheurs, il y avait subi bien des obligations pénibles, mais que jamais il n’avait eu la conscience d’avoir rempli un devoir plus noble, plus impérieux et plus difficile ».

Il eût fallu développer cela, dénoncer hardiment l’intrigue du centre, faire appel au pays républicain, monter au Capitole, non pas en victime résignée tendant le cou au sacrificateur, mais en déployant le drapeau

  1. Il signa la demande de scrutin sur son ordre du jour avec Drumont, Déroulède, Millevoye, etc.