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BRISSON


l’État, les relations extérieures de la République seraient compromises »[1], — c’est-à-dire que la discrétion de Manau et de Lœw ne valait pas celle de Gribelin. Une fois de plus, que devenait la suprématie, tant de fois invoquée, du pouvoir civil ?

Sarrien ayant dit à Chanoine que « la Chambre criminelle pourrait renvoyer Dreyfus devant un conseil de guerre sans enquête préalable », le général en informa Zurlinden et Faure[2]. C’était simplement la loi, mais Chanoine voyait dans ce propos le dessein de brusquer les choses, ce qui n’était dans la pensée d’aucun des revisionnistes. Mathieu, le premier, désirait l’enquête qui prolongerait le supplice de son frère, mais lui rendrait tout son honneur.

Lœw, dès qu’il eût le réquisitoire introductif de Manau qui faisait siens les deux faits nouveaux invoqués par Lucie Dreyfus (la contradiction des expertises et le faux d’Henry), étudia à son tour le dossier et fut convaincu. Il garda toutefois quelque inquiétude à cause des pièces secrètes.

Le choix du rapporteur ne relevait que de lui ; il en était « le maître absolu »[3], nullement tenu de suivre l’ordre d’ancienneté. « Une ancienne tradition dispensait le doyen de tout rapport[4]. » C’était Sallantin, qui l’aurait pourtant accepté, vieux bonapartiste passionné, qui voyait faux, construisait des raisonnements sur des idées préconçues, mais honnête homme et imbu aux moelles de son devoir de magistrat. Venaient ensuite La Rouverade, qui se mourait ; Vételay, atteint d’alié-

  1. Cass., I, 50 ; Rennes, I, 214, 215, Chanoine.
  2. Enq. Mazeau, 49, Chanoine, Cuignet. — Chanoine dit « qu’il nota en russe les importantes déclarations de Sarrien ».
  3. Ibid., 54, Lœw ; 60, Sallantin ; 67, Sevestre.
  4. Ibid., Sallantin.