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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


bonne volonté, n’avait pu relever aucune trace de l’enquête de Picquart contre Donin, mais cela prouvait seulement que Picquart avait pris ses précautions[1]. — Enfin, Tavernier avait sa consigne de traiter son prisonnier en malfaiteur particulièrement dangereux, comme du Paty et d’Ormescheville avaient fait pour Dreyfus, de l’user par l’inquiétude et le mystère, de ne le confronter avec aucun des témoins, de ne rien lui communiquer des charges nouvelles, afin de l’en mieux accabler plus tard, et, tout juste, de lui faire entrevoir son faux. Voici exactement tout ce qu’il lui en dit, à son premier interrogatoire : « Vous êtes inculpé de faux en écriture privée que vous auriez commis en fabriquant la carte-télégramme que nous vous présentons ; nous vous demandons d’abord et seulement si vous la connaissez. » Picquart répond affirmativement. Tavernier : « Vous savez l’acte qui vous est imputé ; reconnaissez-vous l’avoir commis ? — Je proteste de la façon la plus formelle contre cette inculpation que je trouve odieuse et absurde. » Puis, plus rien. Le 23 octobre, après un mois de détention, quand Picquart écrivit à Tavernier pour l’inviter à lui faire enfin connaître, « nettement et catégoriquement », les noms de ses accusateurs et ce qu’ils alléguaient, nulle réponse que la suspension des interrogatoires pendant trois semaines.

XVI

Imaginez un accusé qui se serait endormi, au treizième siècle, dans un in pace de l’inquisition et qui se réveil-

  1. Gonse : « Si l’enquête a eu lieu, ça été à mon insu. »