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BRISSON

Drumont, pour se faire nommer député, avait dû se dire républicain. D’ailleurs, le pamphlétaire était un bourreau d’argent et le contraire d’un homme d’action. Il suffirait que son journal, en continuant sa besogne, ne dénonçât pas les complots souterrains dont il aurait vent.

Dès juillet, le représentant du duc à Paris, André Buffet, s’aboucha avec Guérin et le dépêcha à son prince, qui prenait les eaux en Bohême, à Marienbad[1].

L’héritier de tant de rois fut « charmé »[2] de l’ancien employé de commerce, deux fois failli, qui avait échappé, « avec un bonheur exceptionnel »[3], aux plaintes les plus déshonorantes (escroquerie, abus de confiance et incendie volontaire), et s’était jeté dans la politique, avec Morès et Drumont, comme dans le maquis. Il avait mis en action l’idée antisémitique comme Déroulède l’idée patriotique. Une certaine écorce de

  1. Haute Cour, procédure générale, 7. — D’après un ancien collaborateur de Guérin, devenu son ennemi, et qui aurait eu, sous le nom d’Oswald, des rapports avec la police (Anti-Juif du 18 mai 1902), il fut mis en relation avec Buffet par Guixou-Pagès, qui l’accompagna ensuite chez le duc d’Orléans, et par Sabran-Pontevès. (Spiard, les Coulisses du Fort Chabrol, 50.) — Quand Drumont se fut brouillé à son tour avec Guérin, la Libre Parole publia, sous la signature de Gaston Méry, une série d’articles très documentés (mai-juin 1902) sur l’ancien ami de Morès. Méry l’accuse de rapports clandestins avec la préfecture de police ; cette accusation est sans fondement.
  2. Lettre du duc d’Orléans à Buffet. (Haute Cour, II, 8.)
  3. Ibid., IV, 5. Tout cela est nié, mais mal, par Guérin. (20 et 21 novembre 1899.) — Gaston Méry raconte longuement « les vols et escroqueries » de Guérin ; Morès, édifié, lui aurait télégraphié peu de temps avant sa mort : « Tu n’es qu’un vilain drôle et tu cherches à faire chanter ma femme. » (Libre Parole des 9, 10, 16 mai 1902.) Le 18 décembre 1899, Drumont, à la Haute Cour, disait encore de Guérin qu’il lui était uni « par une sorte d’amitié vraiment fraternelle, cimentée par le souvenir de notre cher et héroïque Morès, et qu’il n’avait jamais vu d’homme meilleur, plus droit et plus loyal. »