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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


sion. Brisson me pria de le sonder[1]. Deux de mes amis se mirent à sa recherche, le trouvèrent aux manœuvres, mais hésitant, bien qu’il fût à la veille de sa retraite ; pourtant, il ne refusa pas, répondit qu’il attendrait des ouvertures officielles. Dans l’intervalle, Bourgeois et Vallé menèrent chez Brisson le général Chanoine, qui s’offrait, qu’ils garantirent, et qui fut tout de suite accepté.

Ils l’avaient connu au conseil général de la Marne, point clérical et votant parfois avec la gauche. C’était, lui aussi, un bon soldat, très brave sous le feu, qui avait gagné ses grades à des assauts en Kabylie et en Chine, excellent cavalier, avec cela un esprit cultivé, beaucoup de bonne grâce, de la finesse, qu’il tenait de sa native Bourgogne et qu’il perfectionna en Russie, comme attaché militaire, insinuant et souple, qui s’était fait bien voir de Gambetta tout en gardant ses attaches bonapartistes (il avait épousé la fille de Frossard), inquiétant toutefois, sans qu’on pût dire pourquoi, de ces hommes dont les instinctifs se méfient, un visage qui avait été fort beau et à qui ses soixante-trois ans en avaient laissé des restes. Avec Chanoine en réserve, Brisson ne douta plus du succès.

Zurlinden, au conseil des ministres, tenta un dernier effort (17 septembre). La séance était à peine ouverte qu’il exhiba le petit bleu et demanda l’autorisation de lancer immédiatement un ordre d’informer contre Picquart. — S’il l’avait obtenu, il aurait observé que le faux d’Henry était annulé par le faux de Picquart (l’autre faux d’Henry) et que, dès lors, il fallait laisser les choses

  1. Je n’allais pas voir Brisson au ministère. On eût « interpellé sur ma visite ». Les communications eurent lieu par l’intermédiaire de mon ami Gachet, qui s’adressait soit à Mathieu Dreyfus, soit à moi.