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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


j’avais écrit à Delcassé et à Lockroy que Picquart était en prison, pour avoir dit la vérité à Brisson, mais que, de sa prison même, puisqu’on hésitait à le mettre en liberté[1], il pourrait parler, si on l’interrogeait, et dissiper les dernières obscurités. L’avis parut bon : Picquart fut invité à adresser au Garde des Sceaux un mémoire sur ce qu’il savait de l’Affaire.

Ce soldat en prison, plaidant pour son camarade au bagne, le fit, dans cette situation dramatique, comme il rédigeait autrefois, dans son cabinet, un rapport sur une question d’État-Major[2]. Nulle passion à l’appui de sa conviction, « profonde et absolue », que Dreyfus est innocent, mais de la logique et des faits, ceux auxquels il avait été mêlé, que j’ai racontés, mais dont la plupart avaient alors, pour Sarrien comme pour Brisson, l’attrait de la nouveauté. Il insista sur la communication des pièces secrètes, « inapplicables à Dreyfus, qui n’auraient pas résisté à la discussion du défenseur ». Le greffier Vallecalle lui a dit un jour : « N’est-ce pas vous qui avez apporté le dossier secret au colonel Maurel ? » C’était lui, ou Du Paty. Après les débats, qu’il avait suivis, il avait rendu compte à Mercier : « L’impression n’est pas favorable à l’accusation, mais les juges seront fixés par les pièces secrètes, » Les juges, troublés, qui « cherchaient une idée claire et nette où se rattacher, après les discussions confuses des experts », ont été trompés par le commentaire qui accompagnait les pièces. « Rien n’avait été épargné pendant le procès pour les influencer » ; Sandherr, Henry leur garantissaient que Dreyfus était bien le traître. Il n’a pas été possible de trouver les mobiles qui l’auraient fait agir.

  1. Ranc, Clemenceau, Guyot demandaient, depuis plusieurs jours, l’élargissement de Picquart.
  2. Lettre de Picquart à Sarrien des 14 et 15 septembre 1898.