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BRISSON


venu le premier accusateur d’Esterhazy, ces soldats n’y trouvaient qu’une explication : il s’était vendu.

Ainsi, l’antisémitisme de Picquart, tare ancienne de cet esprit cultivé, se retournait contre lui pour le rendre suspect dans sa défense du juif innocent. Ainsi recommençait « la folie d’État-Major »[1]. Et ainsi Henry continuait à mener les chefs, puisque c’était lui qui avait gratté l’adresse du petit bleu pour que cette fabrication apparente, plus perfide qu’un véritable faux, fût attribuée un jour à Picquart et le perdît.

VI

Zurlinden une fois convaincu de l’indignité de Picquart, la partie était gagnée pour les officiers de Cavaignac. Il avait entrevu l’innocence de Dreyfus à travers le faux d’Henry ; comment ne l’eût-il pas vu coupable à travers le faux de Picquart ? Alors que ses intérêts (mondains et de camaraderie) et la peur de Drumont qui, par précaution, avait toujours commencé par le fouailler[2], ne l’eussent pas poussé contre la Revision, les prémisses qu’il venait d’admettre suffisaient à l’induire en erreur sur tous les points. La maîtresse d’Esterhazy avait dissimulé pendant quelques jours la fuite de son amant. On le signalait maintenant à Londres, où il annonçait des

  1. Souvenirs de Brisson (Siècle du 20 mai 1903).
  2. 7 et 8 septembre 1899 ; Drumont, physiologiste, lui trouve le type du « fourbe » ; Rochefort le compare à Perrinet-Leclerc : « Enfin, il s’est trouvé un général pour trahir l’année !… Sa trahison n’est pas moins odieuse que celle de l’infecte canaille dont il se constitue le protecteur. »