Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
246
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Roget, excellent metteur en scène, d’une faconde intarissable, chez qui la parole précédait la pensée, quand Zurlinden trouvait si difficilement les mots, s’empara aussitôt du pauvre homme. La carte-télégramme (il n’y avait qu’à la lire : « La maison R…, » etc.) n’avait point trait à des affaires d’espionnage, mais à des affaires commerciales, communication banale d’un négociant à un confrère qui demeurait dans la même rue qu’Esterhazy. Nul autre que Picquart n’avait pu « gratter » le nom du destinataire sur l’adresse, pour y substituer celui de l’homme perdu de dettes dont le Syndicat avait fait choix. Le fait qu’Henry n’avait pas vu le petit bleu dans le cornet, quand il le reçut de la Bastian, les exigences bizarres de Picquart quand Lauth photographia la carte, ses machinations pour l’authentiquer et pour en attribuer frauduleusement l’écriture à Schwarzkoppen, son long silence à l’égard des chefs, les perquisitions chez Esterhazy, la nécrologie du marquis de Nettancourt (antidatée par Henry) d’où résulte que, bien avant, Picquart guettait déjà le gendre du vieux gentilhomme, autant de preuves que le faussaire c’était lui. Henry, « quand il surprit ces menées », et parce qu’il savait Billot indécis et troublé, eut son heure de folie où il imagina de « répondre » à la pièce qui accusait Esterhazy par une pièce décisive contre Dreyfus. Sans ce conflit avec Picquart, Henry fût resté le bon et brave soldat qu’il avait toujours été. Sous Sandherr, « pendant l’instruction de l’affaire Dreyfus, aucune trace d’irrégularité dans le service des Renseignements ; les irrégularités commencèrent seulement avec Picquart ». Du Paty lui-même n’avait commis tant d’excentricités que « pour sauver Esterhazy, qu’il savait innocent, et confondre Picquart, qu’il détestait. » Dès lors, le faux d’Henry, celui de Picquart s’annulaient. Ou, plutôt, il ne restait que le faux