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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Une telle initiative parut du meilleur augure. Brisson ne soupçonna aucune fourberie, même inconsciente, et se concerta avec Lockroy. On avait dans les parages des Antilles deux bateaux, le Dubourdieu et l’Aréthuse, l’un et l’autre mauvais marcheurs. Ils décidèrent d’équiper le Cécille, qui se trouvait à Toulon.

Le Conseil s’ajourna, non pas au lendemain, comme il aurait fallu, mais à six jours, au 12 septembre. Brisson eût voulu lasser la fortune, la faire envoler, qu’il n’eût pas agi autrement.

Zurlinden, laissé à lui-même, c’est-à-dire abandonné aux militaires, était perdu d’avance pour la justice. Il se croyait sans préventions, surtout intéressées, parce qu’il était incapable de combiner de propos délibéré une mauvaise action, et, pareillement, il se croyait intelligent, puisqu’il était parvenu aux plus hauts grades et, pour la seconde fois, à la tête de l’armée.

Il ne fut pas plutôt rentré au ministère que, dans l’air du lieu, avant toute conversation, il fut repris de la mauvaise honte où, depuis un an, les chefs militaires faisaient consister l’honneur de l’armée et qui lui revint comme une vieille fièvre. En montant l’escalier, il n’était déjà plus le même qui venait de se préoccuper du retour de Dreyfus. Quand s’était produit le premier mouvement de sa raison et de sa conscience, après les aveux d’Henry, dans la crise universelle de bon sens qui sévit alors pendant quelques heures, sa responsabilité personnelle n’était pas en jeu. Maintenant que c’était à lui de dire à l’armée qu’un conseil de guerre avait pu se tromper, il y retrouvait toutes sortes de difficultés. Comme Brisson ne lui avait rien demandé que d’être ministre et comme il n’avait rien demandé lui-même que d’étudier le dossier, il s’ensuivait que tout le poids de la Revision retomberait sur lui.