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BRISSON


vera quelques-uns des bénéfices qu’ils ont tirés du crime d’Henry.

Les ministres absents étant enfin revenus, Brisson réunit le Conseil, proposa la nomination de Zurlinden, qui fut acceptée avec empressement, et courut chez le général. Zurlinden, qui connaissait le refus de Saussier et s’attendait à la démarche, demanda seulement à consulter le Président de la République. Brisson n’exigea de lui aucun engagement ; tout le monde savait pourquoi Cavaignac était parti. Au surplus, Zurlinden laissa échapper une exclamation qui l’enchanta. Mettant la main sur un dossier : « Si l’opinion publique connaissait ce que j’ai appris là sur le rôle de certains officiers, elle trouverait la revision toute naturelle ! » C’était le dossier du conseil d’enquête d’Esterhazy ; mais Brisson ne chercha pas à en savoir davantage[1].

Les jacobins, autrefois, témoignaient moins de confiance aux militaires et les plus modérés d’aujourd’hui, les derniers venus dans le camp revisionniste, eussent pris plus de précautions[2].

Une heure après, Zurlinden apporta à Brisson son acceptation, mais à cette condition qu’il « aurait le temps d’étudier lui-même le dossier », pour se faire une opinion personnelle, avant de l’envoyer au garde des Sceaux, et que cela serait précisé dans une note. Il avait dit à Félix Faure qu’il n’entendait pas « entrer dans le Gou-

  1. Brisson, Souvenirs. (Siècle du 18 mai 1903.) — Zurlinden dit « qu’il prévoyait alors que le faux Henry entraînerait la revision ». (Rennes, I, 205.)
  2. Journal des Débats du 7 et du 13, Temps du 11 septembre 1898, etc. — Jaurès, dans la Petite République du 13 : « Les lenteurs inexplicables des ministres, l’incroyable légèreté avec laquelle ils ont introduit Zurlinden sans s’assurer de son concours loyal et ferme… »
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