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BRISSON


trefois, bon prince et redevenant, bon garçon ; surtout sa grande maison neuve sur la mer. Quand Brisson le rappela à Paris[1], une angoisse le prit, un pressentiment qu’il ne reverrait plus ces lieux qui lui étaient chers. Il y avait une très vieille amie, une noble femme qui lui parlait franchement et à qui il ne craignait pas de s’ouvrir. Il lui dit adieu en même temps qu’à sa terrasse, à son jardin : « Tout ce que j’avais voulu empêcher va éclater. L’armée est perdue. C’est une histoire atroce. J’en mourrai. Je ne reviendrai plus jamais ici[2]. » Et cet homme, qui sciemment gardait un innocent au bagne, qui allait s’y obstiner encore, il avait des larmes dans la voix et dans les yeux, pleurant sur lui-même.

En se rendant à la gare, il rencontra le docteur Gibert, qui, l’année passée, avait vainement sollicité une audience, et qui ne le salua pas.

Il connaissait le bordereau annoté ; mais il n’aurait pas osé en parler à Brisson[3]. Il dit à un écrivain de ses amis (Hugues Le Roux) qui le questionnait sur le faux d’Henry : « Est-ce le dernier ? »

Depuis quelque temps, plusieurs parmi les revisionnistes s’acharnaient contre lui, Gohier, les jeunes gens impitoyables du journal les Droits de l’Homme[4]. Ils

  1. Brisson, dès qu’il reçut la lettre de Cavaignac, téléphona lui-même à Le Gall, le chef du cabinet civil de Félix Faure.
  2. Notes (inédites) de Monod.
  3. Au mois de novembre 1896, à la suite de l’interpellation de Castelin, Félix Faure en montra la photographie à Linard, député des Ardennes.
  4. Un peu plus tard, Berge, le gendre de Félix Faure, qui se tint toujours à l’écart de la politique, pria Gibert d’intervenir pour arrêter cette campagne. (Souvenirs de Mathieu Dreyfus.) — » Pour d’autres raisons qu’il est inutile de rappeler, Félix Faure n’a pas toujours eu une entière liberté d’esprit ni de mouvements. » (Jules Lemaître, dans l’Écho du 19 février 1899.)