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BRISSON


Suisse dans la matinée, convaincu maintenant que prolonger la résistance à la Revision, ce serait trop honteux, et qui avait couru au débotté le dire à Brisson, se rendit de sa part chez Cavaignac, son camarade de lycée et son ami personnel, qu’il tutoyait. Il chercha en vain à le raisonner. Son éloquence si insinuante, où la politique paraît sentimentale et le sentiment s’habille de politique, échoua devant ce mur. L’obstiné, qui avait son plan, étala son immense candeur : « Mon crédit n’a pas été diminué par la découverte du faux Henry. Au contraire. Moi seul, j’étais capable de prouver que la pièce était fausse. » Il s’irrita du reproche de n’avoir pas fait le nécessaire « pour conserver un témoin aussi important » ; il ne l’avait pas fait assassiner. Comment empêcher la Revision ? « En faisant ce que je vous ai proposé, il y a trois semaines, en engageant un procès de haute trahison contre tous ceux qui ont pris en mains la cause de Dreyfus[1] » Bourgeois le regarda avec stupeur, comme un aliéné. Cavaignac, à son tour, commença à le regarder avec méfiance, comme vendu aux juifs. Enfin, il lui signifia qu’il ne resterait pas ministre un jour de plus et qu’il allait porter sa démission à Brisson.

Ses affaires étaient en règle ; il avait fait rédiger dans la journée par Roget l’interrogatoire d’Henry.

Il comptait que Brisson, à « cette suprême folie »[2], croulerait aux premiers pas. Alors il rentrera en maître.

Brisson, dans l’entretien qu’ils eurent, avoua d’abord qu’il n’était pas certain de la majorité de ses collègues ; il alla ensuite jusqu’à lui offrir la présidence du Conseil,

  1. Récit de Bourgeois, le 30 octobre 1898, à Monod, qui le consigna le soir même. (Notes inédites.)
  2. « C’est une suprême folie à laquelle je ne veux prendre aucune part. » (Écho de Paris du 5 septembre.)