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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Il était hanté, depuis quelques jours, par la fameuse pièce. Jaurès, l’avant-veille[1], Trarieux, la veille, dans une lettre ouverte à Cavaignac[2], avaient démontré encore une fois, rien que par le bon sens, par la critique des textes et des faits, que c’était un faux. L’événement le plus dramatique et le plus imprévu les justifiait, ainsi que Picquart, Scheurer, tous ceux qui, dès qu’elle parut au procès de Zola, s’écrièrent, comme moi, « qu’elle puait le faux[3] », qu’elle était absurde et stupide[4]. Donc Dreyfus est innocent.

L’idée qu’il s’était trouvé au ministère de la Guerre un lieutenant-colonel pour commettre un crime si bas, et dans un dessein aussi infâme, le remplissait de « stupeur ». J’ai dit déjà qu’il avait reçu dans son enfance des enseignements d’un vieux soldat, volontaire de Valmy, colonel de la garde impériale, qui s’était battu par toute l’Europe. Il oubliait qu’il y avait eu aussi, dans les armées de Napoléon, des gredins, des pillards et d’autres traîtres que Bourmont. Il ne s’imaginait pas plus un soldat sans honneur que sans armes. Il était « patriote » dans toute la force du mot en 1792 ; nul ne souffrit plus cruellement que lui de l’abominable découverte.

Encore quelques jours et des sophistes sans pudeur entreprendront la glorification d’Henry ; les anciens camarades du faussaire, dans la déraison des passions ou sans psychologie, lui chercheront obstinément des excuses. Brisson, enfin réveillé, se retrouvant lui-même dans ce douloureux sursaut, n’admit pas de circonstances atténuantes à un tel crime.

  1. Petite République du 28 août 1898. L’article est intitulé « Faux évident ».
  2. Siècle du 29.
  3. Siècle du 17 février 1898.
  4. Ranc, Jaurès, Monod. — Voir t. III, 443.