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LA MORT D’HENRY


d’Esterhazy, Henry n’avait point soufflé mot de cette visite, de cette contribution accidentelle, bizarre, au service ; des Renseignements[1].

Puis, brusquement, sans qu’aucune question lui eût été posée par Roget au sujet du bordereau, comme sous l’influence d’une peur subite, éveillée par le nom d’Esterhazy, qu’un autre de ses mensonges ne fut soupçonné et n’entraînât la découverte de tout son crime : « C’est à moi qu’on a apporté le bordereau saisi en 1894. Il est venu par la voie ordinaire (c’est-à-dire déchiré en morceaux par Schwarzkoppen, ramassé dans le panier à papiers par la Bastian) avec des documents que vous connaissez et dont l’authenticité est indiscutable. Toute autre version est contraire à la vérité et matériellement impossible[2]. »

Roget ne semble pas s’être étonné de l’étrange attes-

  1. Voir t. II, 250.
  2. Dans le procès-verbal du 3 septembre 1898, ces trois phrases suivent sans autre indication les phrases précédentes sur les rapports de Sandherr et d’Esterhazy. Dans sa déposition à la commission d’enquête, Roget rapporte d’abord les questions qu’il posa au sujet de Sandherr et, sans reproduire la réponse d’Henry sur ce point, continue ainsi : « Après m’avoir renseigné sur le point qui me préoccupait, Henry ajouta… » Il reproduit ensuite les deux phrases : « C’est à moi… il est venu… », mais supprime la troisième. En note, à ces mots : par la voie ordinaire : « Le colonel Henry me dit textuellement : « Par qui vous savez. » Devant la Cour de cassation, Roget explique : « Mon rapport était fait pour le ministre ; il n’avait pas besoin d’être plus explicite (au sujet de l’agent qui a apporté le bordereau) et on en a tiré certainement des interprétations qu’il ne comportait pas et qui ont pu faire porter la suspicion sur l’origine du bordereau. » (I, 124). Devant la commission d’enquête, Cavaignac (33) fait une observation analogue qu’il motive par ce passage du rapport introductif de Manau : « Quel agent ? Pourquoi ne l’a-t-il pas nommé ? Singulière et troublante discrétion permettant toutes les suppositions, autorisant toutes les inquiétudes sur ce point comme sur tant d’autres. » (Revision, 160.)