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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


ce qu’ils vont faire. S’ils livrent Esterhazy au syndicat juif et allemand, ils donneront raison à la campagne organisée par Schwarzkoppen et Panizzardi, qui sont deux espions avérés… C’est l’engrenage : après Esterhazy, ce sera du Paty de Clam ; après Du Paty, Henry, Lauth et Boisdeffre, et après Boisdeffre, Mercier… En abandonnant leur malheureux camarade, les représentants de l’armée s’abandonnent eux-mêmes.

La liste, par ordre chronologique, des scandales et des crimes qui vont successivement éclater, avec le nom d’Henry lui-même en bonne place, cette phrase la donne, d’une exactitude parfaite, vision d’un prophète renseigné[1].

Cavaignac, quand il lut cette prose, dût pâlir encore, verdir. Mais que faire ? Je m’étais emparé de l’article de Drumont :

Vous voilà, averti, Cavaignac, comme le fut, en décembre dernier, votre cousin, par l’autre maître-chanteur, Esterhazy, quand il le menaça, s’il n’était pas débarrassé de toutes les charges, de se suicider, mais pas avant d’avoir livré à la publicité les petits papiers de Du Paty… Que ferez-vous, Cavaignac ? Que fera le conseil d’enquête[2] ?

Il n’avait pas l’habitude de reculer. L’eût-il voulu, il ne le pouvait plus. Il était dans le défilé d’où l’on ne sort pas.

  1. Strong raconte ces propos d’Esterhazy : « Je vais tout dire ; ce sera la ruine de Du Paty et de tous les gens qui m’ont abandonné… Si on m’arrache mes épaulettes, je ferai tout pour entraîner la ruine de ceux qui me lâchent. » (Cass., I, 742)
  2. Siècle du 24 août 1898.