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LA MORT D’HENRY


en erreur, il tenait, d’autre part, la promesse, qu’il avait fait faire par Tézenas à Esterhazy, « de lui casser les reins ».

Il connut le faux d’Henry, comme on a vu, le 14 août ; le 16 au matin (le quatrième jour après sa sortie de prison), Esterhazy reçut du gouverneur de Paris l’avis qu’il était traduit devant un conseil d’enquête[1].

Ainsi, au jour prochain où Cavaignac révélera le faux, il apparaîtra comme ; le Jupiter de la justice distributive, ayant frappé indistinctement de ses foudres, à droite et à gauche, tous les coupables, Henry et Picquart, Esterhazy et Dreyfus.

Un tel justicier sera intangible.

Esterhazy fut fort décontenancé. Quand Tézenas, dans leur dernier entretien, l’engagea à partir au plus vite, il fanfaronna, comme je l’ai raconté, qu’il ne déserterait pas, parce qu’il gardait encore, croyait-il, quelques cartes. Les premières journées de la liberté reconquise lui furent douces. Il dîna avec sa maîtresse chez ses concierges et leur rendit la politesse, recevant des journalistes, déblatérant et hâblant à son ordinaire : que « le duc d’Orléans lui avait offert de passer chez Ménélick pour aller commander par là » ; qu’il n’y a pas de justice ; si Cavaignac l’a fait renvoyer des fins de la poursuite, c’est pour sauver du Paty ; Marguerite ne se serait pas laissée condamner « sans faire prendre les plumes d’autruche[2] ». Ses ressources étaient minces : trois cents francs par mois que lui faisaient Rochefort, Arthur Meyer et Drumont[3], et sa demi-solde. Mais il

  1. Dessous de l’Affaire Dreyfus, 44. — L’ordre d’enquête datait du 11 juillet.
  2. Cass., I, 782, femme Gérard. Elle attribue la plupart de ces propos à la fille Pays qui les restitue à Esterhazy (796).
  3. Intransigeant du 20 septembre 1898.