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CAVAIGNAC MINISTRE

L’espoir de Boisdeffre, lorsque Cavaignac réclama le dossier secret, fut apparemment que le ministre s’effrayerait de ces papiers terribles ; depuis six mois, les journalistes à la solde déclamaient qu’à soulever seulement les voiles du huis clos, comme le demandaient les défenseurs de Dreyfus, on risquait la guerre, c’est-à-dire la défaite et l’invasion. Or, ici encore, Cavaignac s’apprête à donner satisfaction aux ennemis de l’armée : il va leur offrir, dans le même discours, Esterhazy, sous prétexte de faire justice d’un drôle, et, sous couleur d’en finir, une bonne fois, avec l’agitation, celles des pièces secrètes qu’il eût fallu cacher avec le plus de soin, les plus probantes, les faux d’Henry. Bon pour Méline, pour Billot, de s’aplatir devant l’étranger ; la France, sous Cavaignac, est maîtresse chez elle[1]. « Il substituera à la raison d’État la politique du grand jour.[2] »

Un mot admirable de Goethe, c’est quand Méphistophélès dit à Faust : « Le meilleur de ce que tu sais, tu ne peux pourtant pas l’enseigner à ce garçon (ton élève)[3]. » Boisdeffre, de même, ne pouvait rien dire de la vraie vérité à ce maigre garçon qui « gâtait tout ».

Henry sut (par Gonse) que Cavaignac allait porter son faux à la tribune[4] et, aussi, qu’il se proposait de frapper Esterhazy. Le destin s’accomplissait, l’apothéose d’un jour, puis la découverte, désormais inévitable, de ses crimes.

Esterhazy, averti, courut chez Pellieux, et, menaçant, l’air et le ton d’un maître-chanteur aux abois, déclara qu’il en avait assez et que, si on le poussait à bout, « il

  1. Discours du 7 juillet 1898.
  2. Rennes, I, 203, Cavaignac.
  3. Le premier Faust, acte Ier, scène II.
  4. Cass., I, 122, Roget.