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CAVAIGNAC MINISTRE


Henry ne consentit pas à le montrer à Fabre. — Gribelin continuait à affirmer que le dossier qui avait été remis à Leblois, c’était le dossier secret, alors que c’était le dossier administratif[1]. — Tous ces soldats (sous Cavaignac comme sous Billot) avaient l’air de trembler à l’idée de la guerre. Mais, en même temps, le juge fut touché par la fermeté de Picquart, sa tranquillité d’esprit dans une telle épreuve où ses anciens chefs et ses anciens camarades s’acharnaient à le perdre et, essayaient de le déshonorer, et il s’intéressa d’autant plus à lui qu’il avait aperçu, chez ses accusateurs, le désir mal dissimulé de le soustraire à la justice civile pour l’envoyer à celle — plus expéditive — des tribunaux militaires.

Le procureur Feuilloley, à qui il rendait compte de son instruction, partagea cette honorable inquiétude. Il consentais, lui aussi, à faire condamner Picquart, puisqu’il le tenait pour coupable, mais ne voulait pas le livrer à des vengeances.

Cavaignac, s’il n’avait pas été ignorant des lois, aurait pu du premier jour saisir un conseil de guerre. Il avait cru, en effet, impossible de poursuivre Picquart sans lui adjoindre Leblois et, dès lors, que le complice civil rendait Picquart justiciable des tribunaux de droit commun. Or, il n’en était rien, parce que la loi sur l’espionnage a fait de la complicité un délit spécial qui se suffit à lui-même. Que Cavaignac s’en aperçût ou en fût informé, il pouvait le plus légalement du monde enlever Picquart à Fabre et lui laisser le seul Leblois[2]. Fabre et Feuilloley imaginèrent alors de modifier l’incul-

    ments sur la nature desquels il ne m’est plus possible de m’étendre. »

  1. Instr. Fabre, 144, Gribelin.
  2. Picquart fut informé de ces perplexités du parquet. Labori, dans sa plaidoirie du 21 septembre 1898, rappelle que