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CAVAIGNAC MINISTRE


testa, mais dans l’attitude qu’il garda toujours devant ses anciens chefs, d’un soldat respectueux. Pellieux soutenait que Picquart avait entretenu Leblois du petit bleu ; Picquart le niait. Confrontés, Pellieux expliqua : « J’ai entendu dire que Leblois avait su par Picquart qu’il existait dans le dossier secret une pièce qui prouvait qu’Esterhazy était un traître… » Picquart : « Je n’ai rien à dire[1] ». C’était Pellieux qui reculait ; Picquart parut vaincu. Il semblait de peu d’importance que Picquart « ne fût jamais entré avec Leblois dans aucun détail au sujet de cette pièce[2] », puisqu’en fait il lui avait parlé « d’une pièce » qui démontrait le crime d’Esterhazy.

Au contraire de Gonse et de Pellieux, Boisdeffre se montra fort réservé. Toujours malade, il s’excusa de ne pouvoir venir déposer, répondit une première fois par écrit aux questions de Fabre qui se transporta alors chez lui. Picquart, le 5 août 1896, lui a confié ses soupçons contre Esterhazy ; il ne lui a point parlé alors de Dreyfus ; Boisdeffre ne pense pas que Picquart, qu’il retint fort longtemps et qui n’avait nul sujet d’être mécontent de son accueil, ait prononcé ce soir-là les propos menaçants que les officiers du bureau lui attribuaient : « S’ils ne veulent pas marcher là-haut, je leur forcerai la main[3]. » Mais Fabre en crut plutôt Gribelin, Junck et Lauth[4], par cette vieille habitude des magistrats d’ajouter foi aux affirmations des agents de la force publique, surtout des policiers, militaires ou civils, qui peuvent être imbéciles ou malhonnêtes, mais qui passent pour infaillibles.

  1. Instr. Fabre, 133, Pellieux, Picquart.
  2. Ibid., 132, Picquart.
  3. Ibid., 45, 46, Boisdeffre.
  4. Ibid., 22, Gribelin ; 25, Junck ; 49, Lauth, etc…