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CAVAIGNAC MINISTRE


instant, que l’avocat, dans la dernière visite qu’il fit à Esterhazy, lui annonça à la fois son non-lieu et sa mise à la réforme : « Vous serez demain en liberté ; si vous êtes libre à 4 heures, prenez à 5 heures le chemin de la frontière. On a résolu votre perte. Vous passerez devant un conseil d’enquête. Vous serez poursuivi ensuite sur la plainte de Christian pour escroquerie[1]. » Esterhazy répliqua : « Je suis toujours soldat. Partir ce serait déserter. Je ne déserterai pas. » Henry étant encore en vie, Esterhazy avait encore de l’espoir.

Cette fois, la Chambre des mises en accusation avait à juger du fond. Les réquisitions du procureur général furent pressantes ; un substitut[2], en son nom, soutint la thèse effrontée que les aveux de la fille Pays et d’Henry, ayant été rétractés, étaient sans valeur ; que l’expertise qui attribuait à la maîtresse d’Esterhazy l’écriture de la dépêche Speranza n’était pas charge suffisante ; que, d’ailleurs, « l’intention dolosive et frauduleuse » n’apparaissait point dans la rédaction des télégrammes, « lesquels pouvaient fort bien n’avoir pas été adressés à Picquart, par un adversaire, dans une pensée hostile et en vue de lui nuire » ; que les contradictions « nettes, flagrantes, injustifiables » de Christian discréditaient son témoignage ; que ce jeune homme avait, « à la dernière heure, livré, trahi et vendu » le parent dont il s’était dit l’ami dévoué ; que les articles « Dixi », dans la Libre Parole pouvaient être susceptibles d’interprétation contraire ; enfin, que le doute doit toujours profiter aux prévenus », — quand ils ne sont pas juifs.

La Cour adopta ces motifs, cassa l’ordonnance de

  1. Dessous de l’Affaire, 50. — Tézenas m’a confirmé ce récit.
  2. Trouard-Riolle.
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