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le robinson suisse.

pas dans ma résolution ; je me recommandai au ciel, et je m’encourageai par la pensée que mon expédition serait peut-être le premier pas pour notre rentrée parmi les hommes.

« Je n’osais pas gagner la pleine mer, de crainte qu’un coup de vent ne me chassât loin du rivage, dont je devais suivre toutes les sinuosités ; j’avançai donc très-peu, et la nuit me surprit sans que j’eusse fait de grands progrès dans ma route. Je n’avais nulle envie de passer la nuit sur la grève, ne me sentant pas la force de tenir tête aux lions ; je cherchai donc un rocher isolé, et j’en vis un à un quart de lieue environ de la côte. J’avoue que je le regardai bien attentivement pour voir s’il ne s’en élèverait pas de la fumée.

« Après avoir dépassé la chaîne de rochers, j’entrai dans une espèce de golfe, que je reconnus bientôt pour être l’embouchure d’un fleuve. Sans croire qu’en remontant son cours je dusse arriver au but de mon voyage, je ne pus résister au désir de naviguer, pendant quelque temps, sur ses eaux tranquilles, entre ses rives charmantes. Après avoir fait une lieue, je me décidai à descendre à terre pour me reposer un quart d’heure. La campagne était assez ouverte pour que je n’eusse point de danger à craindre à l’improviste, et j’espérais que mon aigle m’apporterait quelque oiseau dont la chair servirait à varier l’uniformité de mes repas. Je tirai, en effet, un toucan, et, au bruit de mon coup de fusil, il s’éleva un vacarme si effroyable parmi les habitants des bois, que j’en fus presque assourdi ; mais les grands crieurs sont gens de peu de besogne. Ils ne songèrent pas à m’attaquer. Ils ne furent pas les seuls que ma chasse eût troublés dans leur repos.

Un frémissement se fit sentir dans les roseaux, non loin de moi ; on eût dit un tremblement de terre ; une masse informe s’éleva à mes yeux, et me causa une si grande frayeur, que je forçai de rames pour m’éloigner le plus promptement possible de ce lieu. C’était un hippopotame qui traversait le fleuve, emportant son petit avec lui. Les