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le robinson suisse.

lusse le soumettre plus longtemps à une semblable épreuve. Je criai donc : « Au lit ! » Et sur-le-champ on se disposa à obéir au commandement. Lord Édouard voulut remonter sur l’arbre d’où il était descendu à notre arrivée, mais nous le forçâmes d’accepter un lit plus commode dans la pinasse.

« Hélas ! dit Fritz à cette occasion, notre nouvel ami n’est pas difficile à satisfaire. Depuis que nous sommes dans cette île, il a couché sur l’arbre et moi dans la cabane ; mais, pendant tout le cours de notre voyage, nous avons été obligés de passer la nuit sur des rochers isolés, afin d’être en sûreté contre les attaques des bêtes féroces. Nous tirions alors notre caïak sur la grève, et nous nous endormions chacun dans notre trou, enveloppés dans nos manteaux, et nos armes chargées à côté de nous. Il y a deux jours que nous habitons cette île, parce que mon caïak avait besoin de grandes réparations. »

Ma femme avait écouté avec beaucoup d’intérêt le commencement de ce récit ; mais, comme elle tenait toujours les yeux attachés sur l’étranger, elle saisit les premiers signes de fatigue qu’il donna pour le mener coucher. Les enfants restèrent encore assez longtemps auprès du feu, causant entre eux et croquant des pignons ; j’admirai l’adresse avec laquelle les plus jeunes interrogeaient Fritz et cherchaient à lui faire avouer d’où lui était venue la première idée de son voyage. Fritz répondit gaiement à leurs questions railleuses, se laissa entrainer à raconter son aventure avec l’albatros, et montra tant de franchise et d’abandon dans ses paroles, qu’il finit par s’oublier tout à fait, et par mettre à la place de lord Édouard une miss Jenny que personne ne connaissait encore.

Le lendemain matin, les trois espiègles n’eurent rien de plus pressé que de souhaiter respectueusement le bonjour à miss Jenny et de lui demander comment elle avait passé la nuit. La pauvre fille en fut si confuse, qu’elle demeura pendant quelques instants les yeux baissés et le front couvert de rougeur ; mais elle finit par prendre son parti, tendit la