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le robinson suisse.

et l’aigle furent attachés chacun à part ; ce dernier à côté du perroquet, sur une des branches de notre figuier. Fritz commit l’imprudence de débander les yeux de l’oiseau carnassier, qui, à l’instant même, se précipita sur le perroquet et le mit en pièces avant que nous ayons eu le temps d’intervenir. Mon fils aîné était furieux et voulait tuer le meurtrier.

Ernest accourut demander la grâce du coupable. « Je te retrouverai bien un perroquet, lui dit-il, mais crois-tu qu’un oiseau comme ton aigle soit très-commun ? Laisse-le vivre ; donne-le-moi à élever, tu verras comme je saurai vite le rendre docile et obéissant.

fritz. — Te donner mon aigle ! non, non ! je l’élèverai aussi bien que tu pourrais le faire, pourvu que tu veuilles seulement m’apprendre la manière de l’apprivoiser. »

Ernest allait dire non. Je pris la parole à mon tour : « Mes enfants, laissez-moi vous raconter un petit apologue. Un chien était couché sur une botte de paille qu’il regardait comme lui appartenant, quand, d’aventure, arrivèrent un âne et un bœuf ; ils prièrent messire chien de leur laisser manger la paille que lui-même ne pouvait prendre pour nourriture, et comme il refusait avec colère : « Jaloux, mange la botte, lui dit le bœuf, ou laisse-nous la manger. » Le chien ne répondit que par un redoublement de fureur, et força le bœuf de s’en aller. Eh bien, Fritz, n’agis-tu pas comme le chien ? Tu ne sais de quelle manière apprivoiser ton aigle, et tu ne veux point le donner à ton frère, qui te promet de le dresser. Tu devrais, au moins, lui offrir quelque chose qui le décidât à te dire son secret, à moins que, par un bon mouvement de générosité, il ne consente à te l’apprendre pour rien.

fritz. — Je vous remercie de votre avis, mon père : Je lui donne mon singe, mais je garde l’aigle, qui est plus noble, plus héroïque. Veux-tu, Ernest, m’apprendre à l’apprivoiser ?