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embarrassante du monde, savez-vous qui l’aurait résolue : La loyauté, et après la loyauté l’Italie elle-même. »

Il est impossible de faire entendre à un peuple un langage plus menaçant à la fois et plus outrageant. Ou bien l’Italie renoncera à Rome, ou elle trouvera devant elle l’épée de la France. Et si, dans son délire, elle se jette sur cette épée, ce ne sont pas seulement les États romains qui seront sauvés des prises de l’unité italienne. Contre la folle Italie vaincue, contre la démente maison de Savoie enfin humiliée, les monarchies récemment dépossédées revendiqueront sans doute leurs droits : le particularisme italien, opprimé depuis peu de jours, se réveillera et l’Italie tombera en décomposition. Une seule puissance incontestée planera sur elle, la puissance de la papauté. Ce sera l’œuvre de la France, ce sera le triomphe du bon sens et la revanche de M. Thiers sur l’unité italienne.

Oui, mais l’Italie violentée ne fera-t-elle point appel à la Prusse menacée aussi ? Ou plutôt l’unité italienne ne fera-t-elle point alliance avec l’unité allemande, toute une nation avec toute une nation ? M Thiers n’est pas assez insensé pour ignorer tout à fait le péril, mais il ne veut pas le voir en face et à plein. Ce même jour 4 décembre, il disait : « Je ne crois pas aujourd’hui, je ne crois pas très prochain le danger de voir les deux questions d’Italie et d’Allemagne se confondre pour être résolues en même temps. Si cela arrivait, le cas serait très grave. Nous serions dans le cas de l’Autriche entre l’Italie et la Prusse en 1866, avec cette différence que l’armée française me rassure beaucoup, quelle que soit son organisation, et quel que soit l’emploi qu’on veuille faire de son courage (vives marques d’approbations). Mais, messieurs, quel est actuellement le danger, le danger vrai aux yeux d’un homme doué de quelque sagacité politique ? Le voici :

« En ce moment, l’homme éminent qui dirige la Prusse, se montre très habile, à mon avis, et beaucoup plus habile même que la veille de Sadowa. Il l’a été cependant beaucoup alors. Je lui ai rendu justice, quoiqu’il ne soit pas l’ami de mon pays.

« Savez-vous en quoi il se montre habile aujourd’hui ? c’est dans sa modération présente. Il comprend très bien qu’il a mis la patience de la France à de rudes épreuves depuis deux ans, il sait ce que c’est que l’armée française, et il faut lui rendre la justice qu’il veut la paix. Mais vouloir, ce n’est pas toujours pouvoir. Il veut la paix, et il sent très bien que si, dans un moment où la France a de tels droits et de tels devoirs en Italie, il cherchait à s’en mêler, il ferait une chose qui révolterait tout le monde, et serait cruellement blâmé dans son propre pays…

« Le ministre de Prusse, je le répète, sent très bien à l’heure qu’il est, que toute l’Europe le condamnerait, s’il voulait profiter de la situation pour se joindre à l’Italie. »

« Qu’ont fait dès lors les Italiens ? Je n’ai pas à ma disposition toutes les