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l’Italie aurait-elle pu mener contre l’étranger une vigoureuse campagne ? D’instinct, dans cette bataille nationale contre l’Autriche, les forces de la Fédération italique se seraient groupées autour de cette monarchie de Savoie qui avait le plus d’audace, le plus de force militaire, et qui, par ses institutions libérales, offrait le plus de garanties aux peuples à peine affranchis de l’absolutisme multiple qui les opprimait en les morcelant. La monarchie de Savoie aurait eu dans cette fédération de petites monarchies la primauté, et par cette voie, c’est à l’unité d’une grande monarchie que s’acheminait la fédération italique.

Ou bien les peuples italiens ne voulant ni rester pris au piège des dynasties diverses, ni se soumettre à une dynastie centrale, auraient subordonné toutes les monarchies particulières à un grand Parlement national qui aurait passionné contre toutes les tyrannies, celle des souverains, celle de l’Autriche, toutes les énergies et toutes les âmes, et c’est encore à l’unité, sous une forme républicaine, que tendait l’Italie. Distendue, la Fédération italique restait serve de l’Autriche, et comme l’Autriche avait du goût pour les dynasties absolutistes, c’était la double faillite de la liberté politique et de l’unité nationale. Concentrée, efficace, elle aboutissait ou à une « grande Monarchie » ou à une grande République italienne, et, de toute façon, le fédéralisme incertain de M. Thiers où il y avait trop de liberté politique au gré des uns, trop peu de nationalité au gré des autres, sombrait ou dans un renouveau de despotisme dynastique et autrichien ou dans un élargissement d’unité. Incapable de résoudre la question autrichienne, comment la Fédération italique aurait-elle résolu la question romaine ?

Si le Pape et les États romains étaient restés hors de la fédération italique, la papauté aurait pu sans cesse intriguer contre celle-ci, fomenter et soutenir les passions absolutistes, au besoin rappeler l’Autriche pour mater les velléités de révolution. Si la papauté était entrée, avec son domaine temporel, dans la fédération italique, quel rôle y aurait-elle joué ? Elle ne pouvait, sans ruiner son autorité morale et son prestige, se résigner à un rôle secondaire. Elle aurait donc prétendu à la primauté, et ou bien elle l’aurait conquise : et c’était l’incorporation effective de toute l’Italie aux États romains : quel dénouement à cette entreprise de liberté que M. Thiers daignait permettre aux activités italiennes ! Ou bien la papauté se serait heurtée, dans la fédération italique, à la résistance du plus puissant des États laïques, le Piémont, et de sa dynastie, et c’était le déchirement de la fédération italique ; c’était l’Italie condamnée à l’impuissance par la lutte intestine de deux puissances antagonistes. Et le conflit n’aurait pu se résoudre, l’Italie n’aurait pu échapper au chaos que par la victoire complète de l’une des deux forces rivales, ou par la victoire de la papauté qui soumettait l’Italie à une grande monarchie de prêtres, ou par la victoire de la maison de Savoie dressant à Rome même le drapeau de l’Italie moderne.