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vieil absolutisme, pourraient se fédérer. « Rien n’était plus facile, dit-il le 4 décembre 1867, que de constituer chacun des États de l’Italie en État libre et indépendant. Il y avait là un premier exercice à offrir à l’activité des Italiens. Il y en avait un second. On voulait donner à la Péninsule la forme fédérative. Après s’être constitué librement, chaque État de l’Italie aurait eu à se faire sa place dans la Confédération unique. Il y avait là un nouvel exercice offert à l’activité des Italiens, et l’un comme l’autre a suffi et suffit encore à l’une des nations les plus énergiques et les plus respectables de l’Europe, laquelle n’a certes jamais cherché à s’effacer, la nation Suisse. Si, au contraire, nous poussions l’Italie dans la voie de l’unité, ou tout au moins si nous l’y laissions entrer, quelle en devait être la conséquence ? Elle allait se constituer en grande monarchie, à ses dépens, aux nôtres, à ceux de l’Europe. »

C’est, comme on voit, la thèse de Proudhon. Mais quelle contradiction et quelle chimère ! M. Thiers reconnaît qu’il y a chez les peuples d’Italie un besoin d’activité spontané et vrai. Et il prétend que la France aurait dû lui tracer du dehors son emploi et sa limite. Mais comment ce peuple, en qui s’éveillent des énergies nouvelles, des appétits nouveaux de force et d’action, aurait-il toléré qu’une puissance étrangère lui imposât des conditions et un programme ? Non seulement M. Thiers regrette que la France ait secondé le mouvement d’unité italienne, il lui paraît encore qu’elle n’aurait pas « le laisser faire ».

C’était l’intervention en Italie et contre l’Italie, une intervention qui ne serait pas limitée à Rome et à la défense du pouvoir temporel du pape, mais qui s’étendrait à tous les États pour leur interdire par la force une politique d’unité. C’est une politique d’ « antinationalité ». C’est une aberration contre-révolutionnaire. « Pour tromper vos aspirations et votre envie, vous irez jusqu’à la Fédération, vous n’irez pas au-delà. » Mais cette Fédération italienne, proposée comme un dérivatif à l’activité impatiente de l’Italie, qu’aurait-elle été ? Ou elle n’eût été qu’une apparence, qu’un mot ; le lien fédéral eût été si faible que les forces des divers États n’auraient pu vraiment et efficacement s’unir pour une action diplomatique et militaire, et c’était alors une ombre d’Italie, un fantôme décevant, qui aurait irrité le désir.

C’est bien ainsi que l’entendait M. Thiers, car en quoi une Fédération italique, si elle eût été sérieuse et efficace, eût-elle moins inquiété la France que l’unité italienne ? Si M. Thiers qui a peur d’une grande monarchie italienne accepte la Fédération italique, c’est qu’il compte bien que celle-ci, tiraillée, discordante n’aura aucune action sur les affaires de l’Europe. Cette Fédération, dispersée et inerte, qui n’eût été que la survivance et la consécration dérisoire des désunions anciennes, l’Italie n’eût point tardé à la rejeter avec dégoût et colère.

C’est avant 1859, c’est avant la guerre contre l’Autriche, guerre d’unité aussi bien que d’indépendance, qu’il eût fallu, selon M. Thiers, tourner vers le fédéralisme la pensée de l’Italie. Mais avec une fédération trop lâche, comment