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bourreaux. Le 22 février 1872, elle fusillait trois des soi-disant meurtriers des généraux Lecomte et Clément Thomas, Herpin-Lacroix, Lagrange et Verdagner, manifestement innocents, et qui moururent au cri de vive la Commune ! Le 19 mars, elle fusillait Préau de Vedel, accusé d’avoir tenu la lanterne lors de l’exécution nocturne de Chaudey, par Raoul Rigault, à la prison de Sainte-Pélagie. Le 30 avril, elle immolait le vaillant Genton qui, blessé aux barricades, se traîna au poteau sur ses béquilles. Le 25 mars, ce fut le tour du corroyeur Serizier, le commandant du fameux 101e du XIIIe arrondissement, de Bouin et de Boudin impliqués dans le meurtre des dominicains d’Arcueil et qui firent honte aux soldats du peloton par leur impassibilité. Le 6 juillet, deux nouvelles victimes s’adossèrent au poteau : Baudoin et Rouilhac. Le 24 juillet, la Commission en exécuta quatre du coup : François, directeur de la Roquette sous la Commune, Aubry, Dalivoust et de Saint-Omer condamnés pour l’affaire de la rue Haxo. Le 18 septembre, la Commission se contenta de faire coup triple : Dénivelle et Deschamps accusés du meurtre d’un officier fédéré, de Beaufort, et Lolive soupçonné d’avoir participé à la fusillade des otages de la Roquette. Le 22 janvier 1873, dernière exécution, triple encore, d’un membre de la Commune, Philippe du XIIe, pris les armes à la main ; de Benot et de Decamps, incendiaires, avait dit l’acte d’accusation.

Les condamnés à la déportation non plus n’étaient pas oubliés. Le gouvernement longtemps hésitant sur le bagne lointain où il ensevelirait pour toujours les braves qui avaient osé se lever et lutter contre lui, avait fait choix enfin de la Nouvelle-Calédonie, roc inaccessible et stérile, aux antipodes du monde, à six mille lieues de la mère patrie. Mais c’est au bagne déjà et quel bagne ! dont il faut lire la description dans l’autobiographie de ceux-là qui y ont passé[1], le fort Boyard, Saint-Martin-de-Ré, l’île d’Oléron, l’île d’Aix, le fort de Quélern, l’arsenal de Toulon, que les condamnés, le boulet aux pieds, le fouet de la chiourme sifflant à leurs oreilles, attendaient l’embarquement, Ce jour vint enfin. Le 3 mai 1872 la Danaé ouvrit la marche sinistre avec trois cents déportés. Suivirent la Guerrière, la Garonne, le Var, le Rhin, la Sybille, l’Orne, le Calvados, la Virginie, cages infectes, foyers d’infection, enfers flottants. Les déportés, plus maltraités que les criminels de droit commun, y sont en butte à tous les affronts et à toutes les tortures en une traversée qui dura cinq mois en moyenne et offrit aux requins abondante pâture.

Il y avait là des hommes, des membres de la Commune : Paschal Grousset, Jourde, Rastoul, Verdure, Trinquet, Amouroux ; des fonctionnaires du gouvernement révolutionnaire : Fontaine, Henri Brissac, Lucipia, Dacosta, Roques de Filhol, Ralsenq ; des combattants qui n’avaient pu trouver la balle libératrice sur le champ de bataille : Lisbonne, Cipriani, les frères Allemane, Henri Place ;

  1. Consulter les Mémoires d’un Communard, par Jean Allemane.