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l’insurrection, révéler les effets de la saignée effroyable par Thiers et la bourgeoisie ordonnée, par l’armée accomplie. Il s’agit de l’enquête sur la situation industrielle et commerciale de Paris entreprise au début de l’automne 1871 par des membres du nouveau Conseil municipal, enquête que conduisirent surtout les chefs du jeune radicalisme bourgeois : Ranc, Lockroy, Allain-Targé.

Déjà, le général Appert avait, dans son rapport à la Commission d’enquête sur le 18 mars, fourni quelques données statistiques très suggestives en relevant les condamnations par profession : 2.901 journaliers, 2.664 serruriers-mécaniciens, 2.293 maçons, 1.659 menuisiers, 1.598 employés de commerce, 1.491 cordonniers, 1.065 commis, 863 peintres en bâtiment, 819 typographes, 766 tailleurs de pierres, 681 tailleurs, 636 ébénistes, 528 bijoutiers, 382 charpentiers, 347 tanneurs, 283 sculpteurs, 227 ferblantiers, 224 fondeurs, 210 chapeliers, 206 couturières, 193 passementiers, 179 horlogers, 172 doreurs, 159 imprimeurs en papier peint, 157 mouleurs, 124 cartonniers, 106 relieurs, 106 instituteurs, 98 facteurs d’instruments, etc. Mais ces chiffres, comme on le voit, ne visaient guère que les condamnés réguliers par les Conseils de guerre, soit 20.000 individus sur 100.000. L’enquête municipale, autrement démonstrative, porta sur l’ensemble des disparus, tant morts que prisonniers ou que fugitifs, et elle sonda à fond les vides affreux creusés par la répression dans les rangs de la classe prolétarienne.

Elle sonda, disons-nous, et voici ce qu’elle trouva. L’industrie de la cordonnerie, qui occupait 24.000 ouvriers français avant le 18 mars, en avait perdu 12.000, tués, emprisonnés ou en fuite. Dans l’industrie des vêtements, le chiffre des ouvriers français disparus montait à plus de 5.000. Les pertes de l’industrie du meuble au Faubourg Saint-Antoine s’élevaient au moins à 6.000 et les patrons suppliaient qu’on leur retournât leurs ouvriers, ceux qui n’étaient pas morts, bien entendu, voyant, disaient-ils, arriver avec terreur le mois d’octobre, mois des commandes, et ne sachant pas comment autrement ils s’en pourraient tirer. Dans l’industrie du bâtiment, les pertes n’avaient pu être encore fixées, mais l’enquête établissait que tous les ouvriers peintres avaient dû être remplacés par des apprentis et que 3.000 ouvriers couvreurs, plombiers et zingueurs avaient disparu. L’industrie du bronze accusait un déchet de 1.500 de ses plus habiles ouvriers. Mêmes vides chez les ouvriers mécaniciens et les ouvriers en métaux. Les peintres d’enseignes, abondant ordinairement sur la place, continuait le rapport, se sont évanouis. Constatations identiques pour toutes les industries ressortissant à la production de l’article de Paris et qui occupaient les précédentes années plus de 20.000 salariés. Enfin les fabricants de machines à coudre déclaraient que leur industrie était menacée de ruine complète, les ouvrières qui les leur achetaient ayant disparu. L’un d’eux affirmait qu’il avait en sa possession pour 400.000 francs de billets souscrits par ces ouvrières, en paiement de leurs machines, dont le quart seulement lui serait