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justice. Ces hommes, ces femmes, ces adolescents que l’armée immola à la réaction et au Capital triomphants finirent en héros en même temps qu’ils finissaient en martyrs. À leurs derniers moments, la splendeur de l’idéal socialiste illumina leur pensée et haussa leur cœur. Ils sentirent, beaucoup confusément, mais tous sentirent l’excellence et la sublimité de la cause pour laquelle ils succombaient et que leur sang ne coulerait pas en vain, qu’il allait s’infiltrer au profond des veines de la terre pour y féconder l’avenir et ils s’offrirent aux balles calmes et forts presque joyeux. On n’en cite pas un qui ait faibli, demandé grâce aux bourreaux. Ceux qui résistèrent, se débattirent comme les faux Vallès, les faux Billioray, ceux-là n’étaient pas des combattants de la Révolution, mais des neutres, souvent même sympathisant avec les vainqueurs que la troupe et la foule, dans leur surexcitation aveugle et sauvage, jetaient au mur par erreur. Les vrais Communeux se distinguaient, au contraire, en ceci qu’ils regardaient la mort en face, sans pâlir ni trembler. À cet égard, les témoignages sont tous concordants.

Le Petit Moniteur, du 29 mai : « Les condamnés montrent autant d’insouciance que d’énergie. Forcés de franchir les cadavres de ceux qui ont été fusillés avant eux, il les enjambent en faisant une pirouette et commandent eux-mêmes le feu ». — Le Gaulois, du 13 juin, parlant plus particulièrement des femmes et Sarcey écrivant : « Toutes celles qu’on a vu exécuter sommairement par des soldats furieux sont mortes l’injure à la bouche, avec un rire de dédain, comme des martyres qui accomplissent, en se sacrifiant, un grand devoir ». — L’Étoile, un des journaux de la bourgeoisie belge, des plus violents contre la Commune : « La plupart ont été au devant de la mort, comme les Arabes après la bataille, avec indifférence, avec mépris, sans haine, sans colère, sans injure pour leurs exécuteurs. Tous les soldats qui ont pris part à ces exécutions et que j’ai questionnés, ont été unanimes dans leurs récits. L’un d’eux me disait : « Nous avons fusillé à Passy une quarantaine de ces canailles. Ils sont tous morts en soldats. Les uns croisaient les bras et gardaient la tête haute. Les autres ouvraient leurs tuniques et nous criaient : « Faites feu ! Nous n’avons pas peur de la mort ».

La réaction se demandait interdite et anxieuse d’où pouvait bien procéder cette superbe des vaincus qui la souffletait ainsi au visage. On rencontre encore la trace de ces préoccupations dans les dépositions à la Commission d’enquête sur les événements du 18 mars, un an après. Le comte de Mun cherchant dans sa conscience de pieux catholique une explication infamante mais qui ne fait que souligner mieux son embarras et celui de sa caste, disait notamment : « Leur résolution très arrêtée est de renoncer absolument au travail. Et c’est ainsi, je crois, qu’on peut expliquer le cynisme avec lequel ces gens se sont fait tuer : non pas que leur résistance ait été aussi énergique qu’elle aurait pu l’être, mais ils sont tous morts avec une sorte d’insolence qui, ne pouvant pas être attribuée à un sentiment moral, ne peut être attribuée qu’à la résolution d’en finir avec la vie plutôt que de vivre en travaillant. » L’outrage du noble comte