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peine. « Avez-vous pris les armes ? Avez-vous servi la commune ? Montrez vos mains. » Et c’était tout. Sans attendre la réponse, le juge sur la mine du patient, au gré de ses impressions, de son caprice prononçait le verdict. Quel verdict ? Le Gaulois nous le dit : « Après le jugement, le président les fait passer par la porte de droite ou par celle de gauche, suivant leur degré de culpabilité. Ceux qui sortent par la porte de droite sont dirigés sur Versailles, dans les convois de prisonniers conduits à Satory. Ceux qui sortent par la porte de gauche sont entraînés à la caserne Lobau et immédiatement fusillés »[1].

Vabre disait encore : « Transférez à la brigade » auquel cas, ajoute la Nation française du 1er juin « l’accusé n’a plus qu’à recommander son âme à Dieu. » Au Luxembourg, de même, les condamnés étaient « ordinaires » ou « classés ». « Ordinaire » c’était Satory, « classé » le peloton. Ainsi, si on le remarque, les bourreaux évitaient d’appeler la mort par son nom, comme s’ils eussent eu le vague sentiment de leur propre ignominie.

Conduits à Lobau par fournées, enchaînés et sous les vociférations et les huées des « honnêtes gens », les « classés » du Châtelet étaient livrés aux gendarmes qui les poussaient dans la cour et, même sans les aligner, tiraient dans le tas ainsi qu’à la chasse. Beaucoup, blessés seulement, se relevaient, couraient le long des murs, jusqu’à ce qu’une balle mieux dirigée les attrapât au vol. Un prêtre en permanence offrait à chaque fournée survenant les secours de sa religion, « mettant le visa de l’Évangile sur cette tuerie infâme ». Édouard Moreau, du Comité central, et Jacques Durand, de la Commune, furent de l’une de ces fournées. Il y eut des femmes, des jeunes filles, des adolescents, et jusqu’à de tous petits enfants. « J’ai vu, a dit un témoin que cite Camille Pelletan, sortir de la Cour martiale (le dimanche 28 mai, à 2 heures de l’après-midi) six enfants conduits par quatre sergents de ville. L’aîné des enfants avait à peine douze ans, le plus jeune à peine six ans. Les pauvres petits pleuraient en passant au milieu de la haie formée par ces misérables (la foule)… « À mort ! à mort ! » criaient ces bêtes fauves, « cela ferait des insurgés plus tard ». Le plus petit des enfants était nu-pieds dans des sabots, n’avait que son pantalon et sa chemise et pleurait à chaudes larmes. Je les ai vus entrer à la caserne Lobau. Au moment où la porte se referma sur eux, j’ai dit : « C’est un crime de tuer des enfants ». Je n’ai eu que le temps de me sauver, sans quoi j’allais au Châtelet comme tant d’autres »[2]. Après chaque exécution, on débarrassait la cour des cadavres qu’on enterrait provisoirement au square Saint-Jacques. Le Siècle du 20 mai estimait déjà à plus de mille le nombre des inhumations qui avaient été pratiquées en cet étroit espace.

Et maintenant que nous avons du moins entrevu comment on les tuait, ne faut-il pas dire d’un mot comment ils mouraient ? Certes ! et ce ne sera que

  1. Gaulois du 29 mai.
  2. Camille Pelletan. La Semaine de Mai, page 224.