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la Prusse d’une attaque de flanc, tente de prolonger l’antique désordre de l’Allemagne ou d’arracher à la Prusse par le chantage des lambeaux du territoire allemand. Notre ambassadeur à Berlin, M. Benedetti, eut ordre de se rendre au camp prussien pour avertir la Prusse que la France, en retour de sa neutralité, exigerait la rive gauche du Rhin jusques y compris la forteresse de Mayence.

Dans les premiers jours d’août, M. Benedetti soumit à M. de Bismarck, à Berlin, un projet de traité en ce sens. C’était une démarche comminatoire ou du moins il était impossible qu’elle n’eût pas ce caractère aux yeux de M. de Bismarck. M. de Bismarck a raconté les faits au Parlement allemand et il a forcé les traits selon sa manière grossissante et brutale. « Après le 6 août 1866, je vis entrer l’ambassadeur de France dans mon cabinet tenant un ultimatum à la main nous sommant ou de quitter Mayence ou de nous attendre à une déclaration de guerre immédiate. Je n’hésitai pas à répondre : « Bien, alors nous aurons la guerre. » Ce fut télégraphié à Paris. Là on raisonna, et l’on prétendit ensuite que les instructions reçues par l’ambassadeur de France avaient été arrachées à l’empereur Napoléon pendant une maladie. » M. Benedetti conteste ce récit. Il n’y a pas eu menaces, il n’y a pas eu ultimatum, et il en donne comme preuve le texte même de la lettre adressée par lui au ministre prussien : « Mon cher président, en réponse aux communications que j’ai transmises à Paris, je reçois de Vichy le projet de convention secrète que vous trouverez ci-joint en copie. Je m’empresse de vous en donner connaissance, afin que vous puissiez l’examiner à votre loisir. Je suis, du reste, à votre disposition pour en conférer avec vous quand vous jugerez le moment venu. » Mais en réalité, qu’importe au fond que M. Benedetti ait bien voulu laisser à M. de Bismarck quelques jours d’examen ? L’essentiel, c’est que M. Benedetti savait, et par lui le gouvernement de l’Empire, qu’il était impossible d’obtenir cette cession de la Prusse sans lui faire violence. À la veille même de la guerre, dans les premiers jours de juin, l’Ambassadeur français avait entretenu M. de Bismarck des demandes de compensation éventuelles de la France, et à ce moment même où M. de Bismarck avait un si grand intérêt à s’assurer par les plus larges concessions la neutralité de la France, il avait signifié qu’il ne céderait jamais un pouce de terre allemande, au moins sur les bords du Rhin. C’est ce que M. Benedetti lui-même écrit à son ministre le 4 juin, après un entretien avec M. de Bismarck. « J’ai relevé de ce qu’il m’a dit, que le Roi se refuse toujours à admettre qu’il pourrait être conduit à céder une portion du territoire actuel de la Prusse. Suivant Sa Majesté, au dire du moins de M. de Bismarck, la compensation qu’il pouvait y avoir lieu d’offrir à la France devrait être prise partout où l’on parle français à la frontière. Le président du Conseil aurait lui-même fait remarquer à son souverain que, pour disposer de ces territoires, il faudrait d’abord les conquérir. Il a échappé cependant au Président du Conseil de dire que « si la France revendiquait Cologne, Bonn et même