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Du reste, si l’Autriche avait été tentée de profiter de sa victoire sur la Prusse pour réaliser de Vienne l’unité allemande qui ne pourrait plus se réaliser de Berlin, le traité le lui interdisait : « Si le sort des armes favorise l’Autriche en Allemagne, le Gouvernement français sanctionnera tout accroissement territorial conquis par l’Autriche pourvu qu’il ne soit pas de nature à troubler l’équilibre de l’Europe en établissant une hégémonie autrichienne qui unirait l’Allemagne sous une seule autorité. » L’Autriche se proposait sans aucun doute de défaire l’œuvre de Frédéric II, de reprendre sur la Prusse la Silésie et d’indemniser avec des territoires prussiens, sans doute avec les provinces rhénanes, les princes de la maison impériale dépossédés en Italie, notamment le grand-duc de Toscane, en faveur desquels le traité prévoyait en effet des compensations territoriales hors de l’Italie. C’était ramener la Prusse à n’être plus qu’un État de troisième rang comme la Saxe ou la Bavière, et c’était condamner à jamais l’unité allemande qui ne se ferait ni par la Prusse ni par l’Autriche. Celle-ci serait la suzeraine d’une féodalité allemande inconsistante et lâche, toute dévorée de menues intrigues et de basses jalousies. M. Ollivier ose dire que ce traité fût « habilement négocié » par M. de Gramont. Oui, si le rôle de la France était d’assurer, au mépris du droit des nations et contre la civilisation moderne la victoire de l’absolutisme autrichien et de l’absolutisme romain, la domination du Vatican et de la cour de Vienne sur une Italie humiliée et disloquée, sur une Allemagne émiettée, sur une France serve de ces combinaisons détestables et définitivement livrée aux influences autoritaires et cléricales. En ce sens, le réacteur de Gramont avait bien travaillé. Mais le mauvais coup ne réussit pas. L’Italie ne se laissa pas tenter et elle entra dans la lutte. La Prusse écrasa l’Autriche le 4 juillet sur le champ de bataille de Sadowa. Ce crime avorté n’en est pas moins un crime : et la France, responsable malgré tout du pouvoir qu’elle subissait avec une complaisance servile n’aura pas le droit, quand les comptes des nations se régleront selon la justice, de rejeter de son histoire ce triste attentat. Après la foudre de Sadowa, l’Empereur intervient, mais dans quel esprit ? L’Autriche lui demande d’imposer sa médiation, et elle lui remet la Vénétie. Que va-t-il faire ? S’il avait eu le sens du droit des nations, comme du véritable intérêt de la France, il aurait permis à la Prusse de tirer parti de sa victoire pour constituer enfin la nation allemande : et il se serait borné, pour tenir envers l’Autriche l’engagement moral qui résultait du traité du 10 juin, à demander à la Prusse d’épargner à l’Autriche l’humiliation d’une entrée à Vienne et toute amputation de territoire. Précisément, M. de Bismarck, luttant contre l’entrainement des passions militaires, avait la sagesse d’arrêter lui-même et de limiter sa victoire. Il ne voulait ni marcher sur la capitale autrichienne ni enlever à l’Autriche un pouce de terre. Qu’elle consentît seulement, étant une puissance mixte, à laisser les puissances purement allemandes débattre avec la Prusse victorieuse les conditions de l’unité allemande. Mais non : le Gouvernement impérial, menaçant