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surveillance effective, de connaitre vraiment des faits et des questions et notamment de la question qui comptait seule alors, celle des opérations militaires, pour pouvoir juger pratiquement, délibérer à bon escient et proposer en conséquence à la Commune.

Comme si ce n’était pas assez des compétitions persistantes du Comité central et du trouble qu’elles entretenaient dans les arrondissements et au ministère de la Guerre même, comme si ce n’était pas assez des entreprises des délégués à la Préfecture de Police et à la Guerre pour se faire indépendants et irresponsables dans leur domaine, la Commune a donc trouvé l’infaillible moyen pour affaiblir et ruiner toute influence du pouvoir central. Le système qu’elle inaugure, en divisant et fragmentant les responsabilités avec les attributions et les efforts avec les spécialités, rend impossible jusqu’à l’élaboration d’un plan général et plus impossible toute application suivie de ce plan, si d’aventure il s’en dessinait un quand même. Il consacre le triomphe de la méthode fédéraliste, par conséquent de la pleine et entière anarchie. Qu’importent dans ces conditions les titulaires de ces nouveaux postes, les membres de cette Commission fantôme et infirme : Cluseret, à la Guerre ; Jourde aux Finances ; Viard, aux Subsistances ; Paschal Grousset, aux Relations Extérieures ; Frænkel, au Travail et à l’Échange ; Prolot, à la Justice ; Andrieu, aux Services Publics ; Vaillant, à l’Enseignement, et Raoul Rigault, à la Sûreté générale ? Eussent-ils toutes les aptitudes et tous les dévouements, qu’ils sont condamnés quand même à l’inaction et à l’impuissance. La cohésion qui subsistait dans l’effort populaire et révolutionnaire va se réduire encore et cela à l’instant où l’ennemi se faisant plus pressant, plus audacieux, arme de batteries formidables le Mont-Valérien, Montretout et Brimborion et commence le bombardement en règle de la capitale.

Si Paris tient debout, ce sera par sa force propre, par la résistance qu’opposent malgré tout, rien que par leur masse, deux millions d’hommes retranchés derrière des murailles de pierre, et aussi parce que Versailles ne se sent pas prêt pour l’assaut final et qu’à l’intérieur de la ville la bourgeoisie lâche n’osera pas risquer la rencontre, défier la Révolution même moribonde, même agonisante.

Laissons donc l’Assemblée communale, laissons le spectacle d’incurie, de désordre, de débilité qu’elle nous offre et allons à ce qui console et réconforte un peu en ces jours sombres, deux choses : l’admirable résistance de l’élite ouvrière aux avant-postes ; les capacités que cette même élite ouvrière révèle dans l’administration d’une cité de deux millions d’habitants qui lui a été laissée en charge, abandonnée.