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Beslay, mandé le 29 par la Commission exécutive pour lui rendre compte de sa délégation, lui tenait, en substance, ce langage caractéristique : « Il faut respecter la Banque avec tous ses privilèges et toutes ses attributions : il faut la maintenir debout, vivante avec son crédit intact et ses billets au pair. À cela, la France est intéressée ; donc Versailles, mais Paris autant, davantage encore et, avec Paris, la Commune. Si nous procédons à l’envahissement de la Banque, si nous la faisons occuper militairement par la garde nationale, nous pourrons mettre la main sur l’encaisse métallique. Combien ? 50 millions ; il n’y a pas plus pour l’instant, l’encaisse véritable et normal ayant été transporté, avant l’investissement, dans une succursale départementale. Ces 50 millions absorbés, il ne restera à la Commune et à la population parisienne qu’un billet déprécié, sans valeur, simple chiffon de papier avec lequel il sera impossible de trouver chez le boulanger un pain de quatre livres. Une crise terrible en résultera qui tournera contre Paris le monde entier et, contre le gouvernement de la Commune, toute la population parisienne ; les transactions devenues nulles, le commerce tué, l’Hôtel de Ville mis hors d’état de pourvoir à la subsistance des habitants. Conclusion : il est d’intérêt vital pour nous de respecter la Banque près de laquelle nous sommes certains de trouver les fonds dont nous avons besoin en dehors de nos recettes journalières. Tout acte de violence et de spoliation tournerait contre nous en transformant la planche à billets de l’Imprimerie de la Banque en planche à assignats[1] ».

Cette argumentation était-elle irréfutable ? Elle était spécieuse en tout cas, si spécieuse que la Commission exécutive impuissante à contrôler les dires du délégué, qu’elle tenait à bon droit du reste pour le plus honnête homme et le plus consciencieux qui fût, y avait souscrit sans difficulté, sans opposition aucune. La diplomatie conciliatrice de Jourde, de Beslay, de Varlin lui agréait en somme, puisque, d’une part, elle procurait de façon sûre à la Commune l’argent du combat — ce qui était l’essentiel — ensuite parce qu’elle restreignait au minimum la perturbation dans Paris et favorisait d’autant l’union des diverses classes de la population contre l’ennemi versaillais.

L’abdication momentanée, et en quelque sorte forcée de la Commission en ces matières si délicates et si graves s’expliquait donc ; mais cette abdication va devenir celle de la Commune elle-même qui, pour son compte, aura moins d’excuses, puisqu’elle aura non plus des heures mais des jours devant elle avec la possibilité de s’informer, d’enquêter, d’envisager le problème sous ses faces multiples et complexes. Or, elle ne fera rien ; elle ne tentera rien. Pas une fois, elle n’essaiera de pénétrer dans le domaine où Jourde, où Beslay, où Varlin besognent de leur mieux, mais peut-être à faux. Jamais elle ne tentera d’orienter dans un sens différent la politique financière du gouvernement révolutionnaire, d’examiner les coups qui, sur ce terrain, pouvaient être

  1. Beslay, La Vérité sur la Commune, p. 75-109.