Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/382

Cette page a été validée par deux contributeurs.

remplacement, et Thiers saisissant la balle au bond, s’empressait d’expédier l’ex-préfet de police, de Kératry. Le choix était exécrable. Kératry débarque à Toulouse le 23 ; mais il y est reçu par la garde nationale qui toute entière acclame à sa barbe Duportal et oblige le nouveau venu à rétrograder jusqu’à Agen. Dans l’intervalle, Duportal avait essayé d’obtenir du gouvernement versaillais sa réintégration, mais il avait essuyé un refus. Entraîné par le courant populaire, il accepte alors le titre de délégué de la Commune à la préfecture de Toulouse et la Commune est elle-même solennellement proclamée au Capitole. C’en était fait : Toulouse passait du côté de la Révolution. Les Saint-Gresse et les autres réacteurs dont le général de Nansouty, fardés d’un républicanisme d’occasion, tentent alors d’un mouvement tournant. Protestant de leur dévouement à la République pour laquelle ils sont prêts à verser tout leur sang », ils remontrent à la population toulousaine que tous les républicains notoires, de Grévy jusqu’à Louis Blanc, sont avec Versailles, que le Comité central de Paris n’est composé que d’inconnus venant on ne sait d’où, allant on ne sait où. Ils parviennent ainsi à jeter l’hésitation dans la garde nationale, engluent un certain nombre des officiers et aboutissent, la faiblesse de Duportal aidant, à imposer une façon de compromis d’après lequel la direction intérimaire du département serait confiée à un conseiller de préfecture et une municipalité provisoire installée, avec le chef de bataillon Valette à sa tête. Les deux parties acceptent et les bataillons rouges se retirent du Capitole. C’était là ce qu’attendait Saint-Gresse et sa bande. Sans perdre une minute, d’autres troupes, volontaires de l’ordre, rassemblées par le receveur général de Carbonel, occupent les principaux points stratégiques, et le lendemain, à 10 heures, Kératry apparaît avec trois généraux à sa suite et plusieurs milliers de soldats. Six canons l’accompagnent qu’il braque sur l’Hôtel de Ville. Duportal et ses amis sont pris comme en une souricière et il ne leur reste qu’à solliciter la bienveillance du vainqueur qui leur fut du reste accordée. Toulouse ne combattra pas pour la Commune et laissera les républicains à la Grévy et à la Louis Blanc égorger Paris de connivence avec les Vinoy et les Gallifet.

Narbonne fit mieux, parce qu’elle trouva un chef digne d’elle et de sa vaillance, Émile Digeon. Digeon était un proscrit de décembre, homme d’action simple et droit. Après le 18 mars, il voulut soulever Carcassonne où il résidait ; mais il en fut empêché par un de ses compagnons, l’avocat Marcou, qui ménageait son avenir, et n’avait pas tort, puisqu’il devait devenir plus tard député, sénateur. Peut-être même fut-il ministre : on ne sait plus : il y en a tant eu. Marcou, finaud, éloigna Digeon de Carcassonne et le rejeta sur Narbonne, lui représentant que cette deuxième ville était bien plus susceptible de se laisser entraîner que le chef-lieu du département. Le 23, Digeon arrivait à Narbonne et, de suite, à la tête de deux cents hommes résolus, s’emparait de l’Hôtel de ville dont il expulsait le Conseil municipal récalcitrant à la proclamation de la Commune. Le lendemain, 24, une compagnie du 52e l’attaquait ; mais, comme