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n’étaient pas pour la Commune : la classe moyenne observait déjà une attitude de froide réserve ; mais, en tous cas, et même dans les rangs bourgeois on n’eut trouvé personne en ces derniers jours de mars et premiers jours d’avril qui tint pour Thiers et sa bande. Le gouvernement des ruraux était universellement haï, méprisé et conspué. Pour être fixé à cet endroit, il suffit de parcourir, en dehors des feuilles nettement acquises à la cause révolutionnaire, les quinze ou vingt journaux politiques de toute nuance, qui se publiaient à l’époque dans la capitale. Les organes de droite pure se taisaient, les autres moniteurs officiels des intérêts bourgeois affichaient à tout le moins une impartialité et une objectivité prouvant que leur clientèle demeurait dans l’expectative et n’eut pas toléré une approbation de l’œuvre de réaction qui, commencée par l’Assemblée Nationale à Bordeaux, se poursuivait à Versailles.

Par contre, les démarches premières de la Commune avaient été plutôt favorablement accueillies, non seulement dans les milieux prolétaires, mais aussi dans les milieux intermédiaires : par le commerçant, le boutiquier, le façonnier, qui pullulaient alors comme aujourd’hui, plus qu’aujourd’hui.

La proclamation par laquelle la Commune s’était annoncée avait plu. Elle était dans le ton, habile, politique, sans exposé théorique, sans étalage pompeux de principes et de doctrines. Elle présentait les faits dans leur vérité et indiquait en traits sobres les mesures déjà prises ou qui allaient être prises pour remédier aux maux les plus cuisants dont souffrait la population, sans acception de classe ni de personne. Que ces mesures dussent bénéficier surtout à la portion la plus misérable, aux prolétaires salariés : aucun doute. Cependant, les autres catégories sociales : petits rentiers, petits patrons, fonctionnaires, commerçants y devaient aussi trouver leur compte. Et des décrets étaient venus, dans les quarante-huit heures, appuyer cette proclamation, la traduire en actes.

Ces décrets se référaient aux problèmes du moment posés par les calamités, les désastres, les ruines, les misères que la guerre et le siège avaient engendrés. Ils visaient les questions urgentes, parisiennes, que l’Assemblée nationale avait tranchées contre Paris et qu’il était de saine politique et de stricte justice de trancher au contraire pour Paris, à son avantage. Décrets sur les loyers, sur les échéances, sur la garde nationale, sur les monts-de-piété.

Pour les loyers, l’Assemblée nationale avait dit : « Les droits de la propriété sont sacrés. Il ne sera pas fait remise aux locataires d’un seul franc, d’un seul centime ». Afin que le propriétaire et le logeur touchent intégralement leur dû, on expulsera et on jettera à la rue, sans pitié ni délai, les gueux qui ne pourront s’exécuter ; on vendra leurs dernières nippes, leurs derniers meubles et jusqu’à leurs instruments de labeur. La Commune répondait : le travail avant tout. Il est illogique et inique que les propriétaires d’immeubles seuls n’aient pas à souffrir des conséquences de la guerre. La stagnation absolue des transactions et des affaires, pendant et depuis le siège, a réduit aux abois le prolétaire,