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se présenter à l’Hôtel de Ville ; les agents et sous-agents des postes que Theisz, successeur de Rampont, rencontrera aussitôt à ses côtés, actifs et empressés ; les employés subalternes des mairies, que les membres de la Commune, devenus administrateurs de leur arrondissement respectif, trouveront prêts à les seconder avec un zèle exemplaire. Ceux-là, bien d’autres encore parmi les modestes et les humbles des diverses administrations, tant nationales que municipales, désobéiront résolument à la première injonction de l’Assemblée rurale, qui leur commandait — comble d’impudence — de transmettre régulièrement à Versailles les recettes encaissées par eux à Paris. Ils ne se conformeront pas davantage au second ukase signé : Picard, ministre de l’Intérieur, leur intimant l’ordre de rejoindre Versailles sous peine de révocation et de déchéance de leurs droits à la retraite, et leur garantissant par contre, en retour de leur obéissance, le paiement intégral de leurs appointements « jusqu’au rétablissement de l’ordre ». Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, se disaient beaucoup de ces hommes qui voulaient leur pain quotidien, là où étaient la femme, les enfants, la maisonnée, et puis qui, Parisiens et du peuple, ne boudaient pas à rester avec Paris et avec le peuple.

Cela pouvait représenter vingt ou vingt-cinq mille agents fidèles et sympathisants, effectif numériquement appréciable certes, mais qui ne valait, dans la réalité des faits, qu’autant qu’il avait à côté de lui, superposé à lui, un second élément indispensable pour promouvoir et coordonner son activité, l’encadrer, le guider. C’est ce second élément qui se déroba dès la première heure et ne cessa, en définitive, jusqu’au terme, de faire défaut à la Commune.

La réaction versaillaise savait qu’une collectivité, militaire ou civile, il n’importe, ne peut, si dévouée et expérimentée qu’on l’imagine, se passer de cadres, que ces cadres brisés ou simplement disjoints elle tourne fatalement, malgré toute sa bonne volonté, à la cohue, devient inapte à remplir son office. Elle savait encore que pour paralyser un mécanisme, il n’est pas besoin, le plus souvent, d’endommager la machine elle-même, qu’il suffit de couper les courroies et poulies de transmission qui la relient au moteur. Durant la dernière semaine de mars, les gouvernants versaillais tendirent donc le principal de leur effort vers cet objectif : disloquer les cadres administratifs, débaucher les chefs de service, et l’on doit reconnaître qu’ils y réussirent à merveille. Au bout de huit jours, il ne restait plus trace dans Paris de cette bureaucratie moyenne, intermédiaire entre la direction supérieure et les agents de pure exécution, truchement obligatoire, tant qu’il y aura administration, gouvernement, État, et qui était aussi indispensable à la Commune qu’à aucun autre pouvoir. Façonnée par dix-huit ans d’Empire à l’obéissance passive et à la haine des masses, cette bureaucratie obtempéra comme une meute de chiens couchants au coup de sifflet de Thiers et après avoir razzié les caisses publiques dont elle avait la gestion — c’était un ordre aussi — elle fila sur Versailles par les voies les plus rapides. À cet exode, pensera-t-on, il n’y