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munitions en abondance, des défenseurs résolus et enthousiastes par milliers. Elle était riche aussi, puisqu’elle avait, puisqu’elle eut, avec bien d’autres fonds, le crédit de la Banque de France à sa merci. Que lui manqua-t-il donc ? Cela que nous indiquons et qu’on jugera peut-être mesquin et secondaire et qui était pourtant capital, car cela manquant, toutes les ressources, aussi précieuses et formidables qu’on se les imagine, restaient vaines, inutilisables. Il lui manqua un personnel dévoué et compétent pour mettre en œuvre les forces vives qui surabondaient autour d’elle ; il lui manqua les organes d’administration et de contrôle indispensables pour ordonner le mouvement, transmettre l’impulsion, la direction, organiser et discipliner l’effort révolutionnaire pour la bataille révolutionnaire. Là gît le secret de la débilité de la Commune, de son impuissance, par suite, de sa défaite.

Consultez les procès-verbaux de l’Hôtel de Ville, ceux que nous avons publiés et les suivants, et un fait vous frappera : le perpétuel va et vient de délégations qui s’accomplit aux séances : réception de délégations des corps d’employés par la Commune, envoi de délégations de la Commune vers ces mêmes corps.

Le 29 mars, à la séance du soir, ce sont les délégués des employés de l’Octroi qui se présentent en parlementaires à l’Hôtel de Ville.

À la séance du 30 (après-midi), c’est Theisz qui est délégué aux Postes, Beslay qui est délégué à la Banque. Ce jour encore, à la séance de nuit ; c’est Mortier et Billioray qui reçoivent mission d’enlever la caisse de la boulangerie. Les démarches même des fonctionnaires qui viennent, comme ceux de l’Octroi, apporter solennellement leur adhésion à la Commune, prouvent que d’autres avaient obéi aux suggestions de Versailles, abandonné leur poste et que l’insubordination était partout. D’un mot, à la seconde séance du 30, Jourde résumait la situation, quand il disait : « Toutes les sommes perçues à Paris par les différents services sont expédiées à Versailles. Si l’on hésite à prendre des mesures radicales, demain tous les services seront désorganisés ».

On ne saurait trop insister sur ce point. Auprès de cela le reste n’est rien : tentatives des maires qui confient au papier blanc officiel l’expression des rancunes et des rancœurs qui n’ont plus aucun écho, manœuvres directes ou obliques d’un Comité central qui essaie de reprendre par bribes une autorité qu’il s’en veut d’avoir sitôt et si entièrement abandonnée.

Si la Commune avait pu constituer un pouvoir, un gouvernement dont les ordres eussent été transmis, exécutés, elle durait, s’implantait ; elle annihilait aisément toute résistance à l’intérieur des murs, remettait chacun à sa place, réduisait chacun à son rôle : le Comité central de la garde nationale, notamment. De ce Comité, même en face de la Commune telle qu’elle fut, on a très fortement exagéré l’opposition et son importance. Cette opposition rida à peine la surface de l’eau, troubla quelques séances, les premières en particulier où les délégués du Comité, encore installé à l’Hôtel de Ville, essayèrent de